C’est une question que l’on se pose à chaque fois que le marché semble atteindre de nouveaux sommets : le marché boursier est-il surévalué ? Autrement dit, les niveaux atteints sont-ils justifiés par de bonnes performances économiques, ou bien la bourse est-elle déconnectée de l’économie ?
La bourse atteint régulièrement des niveaux records, comme on a pu l’observer récemment en scrutant les grands indices boursiers (S&P 500, CAC 40…).


Pourtant, il semble y avoir une apparente dissonance entre la bourse, qui semble prospérer, et l’économie réelle, qui affronte divers défis :
- Une forte inflation.
- Des tensions sur l’approvisionnement en énergie, la chaîne logistique et le marché du travail.
- Des taux d’intérêt élevés qui pourraient affecter le marché immobilier, avec un risque potentiel de crise immobilière.
- Une situation géopolitique tendue où se mêlent hausse des dépenses militaires, sanctions économiques et alliances entre blocs.
Pour déterminer si le marché boursier est surévalué, plusieurs indicateurs sont fréquemment utilisés et cités :
- Shiller ratio (ou CAPE ratio)
- Buffett Indicator
- P/E ratio
- P/B ratio
Chacun de ces indicateurs a ses avantages, défauts et spécificités.
Le Shiller Ratio (CAPE ratio)
Le Shiller ratio a été inventé par Robert Shiller, prix Nobel d’économie. Également appelé CAPE (Cyclically Adjusted Price-to-Earnings), il calcule la capitalisation boursière divisée par la moyenne des bénéfices nets sur 10 ans.
Le fait d’utiliser les bénéfices lissés sur 10 ans, plutôt que ceux de l’année en cours, permet de minimiser l’impact des cycles économiques.
Actuellement à plus de 30, il dépasse largement sa moyenne historique qui est de 17. Ce niveau s’approche de ceux atteints avant des crises majeures comme celles de 1929 ou la bulle internet de 2000. Selon le Shiller ratio, le marché boursier est donc dangereusement surévalué.

Pour autant, cette méthode basée sur une moyenne des bénéfices sur 10 ans pourrait ne pas être adéquate pour évaluer des entreprises modernes comme Tesla, Amazon, ou Alphabet, dont la croissance et le développement ont été rapides et considérables.
Le marché boursier est plus que jamais tiré vers le haut par les grandes entreprises, dont le chiffre d’affaires est ascendant. Prendre en compte les bénéfices d’il y a 10 ans dans le calcul tire ainsi mécaniquement le Shiller ratio vers le haut.
Bien qu’utile dans le passé, ce ratio semble ne pas être aussi pertinent dans l’économie d’aujourd’hui, en constante évolution.
Le Buffett Indicator
Ainsi nommé en référence au célèbre investisseur Warren Buffett, cet indicateur compare la capitalisation boursière totale d’un pays donné au PIB de ce même pays. Le but est ainsi de chercher à évaluer si le marché boursier est surévalué ou sous-évalué par rapport à l’économie réelle du pays.
Le calcul du Buffett Indicator est plutôt simple : on prend la valeur totale de la bourse et on la divise par le produit intérieur brut (PIB), ce dernier étant une mesure de tout ce qu’un pays produit en un an. Cet indicateur offre ainsi une perspective sur la « santé » relative de la bourse par rapport à l’économie réelle d’un pays.
Selon les niveaux actuels (180 % du PIB), le Buffett Indicator nous indique que le marché américain est surévalué.

En ce qui concerne le marché français, le Buffett Indicator indique également une survalorisation proche du plus haut niveau historique, avec une capitalisation boursière égale à près de 125 % du PIB.

Cependant, plusieurs critiques peuvent être évoquées concernant cet indicateur. Premièrement, la tendance naturelle du ratio est d’augmenter au fil du temps. Cette augmentation s’explique par la croissance de l’importance des multinationales cotées en bourse dans l’économie.
Autrefois, la majeure partie de ce qu’une personne consommait ne provenait pas de sociétés cotées en bourse, mais de petites entreprises locales. Avec le temps, de plus en plus de biens et services consommés proviennent de grandes entreprises cotées, comme Carrefour, Walmart, H&M, Nestlé, etc.
Autrement dit, l’économie est de plus en plus faite d’entreprises cotées. Par conséquent, cette croissance naturelle du poids de la bourse par rapport à l’économie rend difficile la distinction entre une véritable surévaluation et la tendance naturelle à la financiarisation de l’économie.
Une deuxième critique est d’ordre géographique. Il n’est pas cohérent de comparer des entreprises multinationales, qui opèrent à l’échelle mondiale, au PIB d’un seul pays. Cela concerne tout autant les grandes entreprises américaines, qui vendent presque partout dans le monde, que des entreprises françaises comme Total, LVMH, Sanofi et Airbus, qui génèrent aussi des revenus dans le monde entier, et non seulement en France.
Ainsi, comparer leur valorisation à celle du PIB peut donner une image trompeuse de leur surévaluation ou sous-évaluation. La mondialisation est passée par là.
Warren Buffett lui-même a des sentiments ambivalents quant à l’utilisation de son indicateur, notant certaines limites et relativisant son importance.
Bien que le « Buffett Indicator » soit un outil intéressant, il comporte donc un certain nombre de faiblesses qui rendent son interprétation difficile. Pourtant suivi par beaucoup d’investisseurs, on pourrait potentiellement le considérer comme étant peu utile.
Le P/E ratio
Cet indicateur se base sur le ratio prix/bénéfice (price/earnings), ce qui permet ainsi de comparer des éléments vraiment comparables.
Contrairement aux indicateurs précédents, le P/E ratio compare la valorisation d’une entreprise à ses résultats actuels, et non à ceux des 10 dernières années. Il évite aussi les comparaisons hasardeuses entre capitalisation boursière et économie globale.
Une variante tout aussi pertinente du P/E ratio est le P/E Forward, qui utilise les prévisions de bénéfice pour l’année suivante.
Avec un P/E actuel de 17,5 pour une moyenne de 16,3 depuis 30 ans, les actions des pays développés ne semblent pas spécialement surévaluées.

Lorsque l’on se penche sur les différents marchés boursiers, leur P/E Forward n’indique pas de surévaluation particulière par rapport aux dernières années, à l’exception des États-Unis, qui paraissent surévalués comparativement à leur moyenne historique, avec un P/E ratio de 19.

En revanche, les pays de la zone Euro, le Japon et les pays émergents ont un P/E ratio qui reste dans la moyenne des dernières années. Le Royaume-Uni est même quelque peu sous-évalué par rapport à sa moyenne. La bourse n’est donc pas uniformément évaluée au niveau mondial.
Les États-Unis paraissent ainsi être le seul grand marché boursier qui soit légèrement surévalué. Cette surévaluation s’explique en partie par la très bonne performance des actions américaines ces dernières années. En revanche, leur performance future pourrait souffrir de leur survalorisation actuelle. Si l’on en croit l’étude de JP Morgan, avec un P/E Forward proche de 20, il faut s’attendre à une performance moyenne de seulement 4 à 5 % sur les 10 prochaines années.

Cependant, il existe des disparités au sein d’un même marché. Par exemple, dans l’indice S&P 500, les 10 plus grandes entreprises ont un P/E ratio moyen de 31, tandis que les 490 autres ont un P/E ratio inférieur à 17, qui se rapproche de la moyenne historique.

Les grandes entreprises, notamment celles du secteur technologique, semblent ainsi largement surévaluées, contrairement à la grande majorité des entreprises américaines.
Le P/B ratio
Le P/B ratio, ou « Price-to-Book » ratio, est un indicateur financier couramment utilisé pour évaluer la valorisation relative d’une entreprise par rapport à la valeur comptable de ses actifs nets. En d’autres termes, le P/B ratio mesure le prix que les investisseurs sont prêts à payer pour chaque Euro ou Dollar de la valeur comptable de l’entreprise.
Pour le calculer, on divise la capitalisation boursière de l’entreprise par sa valeur comptable totale. Si le résultat est supérieur à 1, cela signifie que le marché valorise l’entreprise à un montant supérieur à la valeur de ses actifs. Inversement, un ratio inférieur à 1 pourrait suggérer que l’entreprise est sous-évaluée, ou que le marché perçoit des risques associés à ses actifs.
Le P/B ratio du marché américain est actuellement de 4,3, ce qui est assez élevé par rapport à sa moyenne historique de 2,8.

En comparant le P/B ratio entre plusieurs zones géographiques, on constate que cette surévaluation est uniquement présente sur le marché américain.

L’utilisation du P/B ratio est particulièrement pertinente pour les entreprises du secteur financier, comme les banques, où les actifs et les passifs comptables jouent un rôle prépondérant. Mais il est important de noter que comme tout indicateur, le P/B ratio a ses limites. Pour des secteurs dans lesquels les actifs intangibles tels que la propriété intellectuelle ou la notoriété de la marque sont essentiels, ce ratio peut être moins indicatif.
Une entreprise avec un P/B ratio bas peut être une aubaine, mais elle pourrait aussi être confrontée à des problèmes que le marché a identifiés. De même, un P/B ratio élevé ne garantit pas nécessairement une surévaluation, car l’entreprise peut avoir des actifs intangibles ou des perspectives de croissance que le marché estime justifiées.
Il est donc essentiel de combiner le P/B ratio avec d’autres indicateurs, comme le P/E ratio, pour obtenir une image plus complète de la valorisation d’un marché.
En conclusion, il faut faire attention aux prévisions alarmistes et aux conclusions hâtives basées uniquement sur des indicateurs, dont certains sont discutables, comme on a pu le voir.
Des indicateurs simples comme le P/E ratio, ou le P/B ratio, dans une moindre mesure, permettent d’avoir un aperçu correct pour juger si un marché boursier est ou non surévalué. D’autres indicateurs sont à observer avec plus de recul (Shiller ratio ou Buffet Indicator).
Enfin, rappelons qu’agir en fonction du niveau de valorisation est risqué et revient à faire un pari spéculatif à court terme. Un marché surévalué peut très bien continuer à monter, tandis qu’un marché sous-évalué peut continuer sa chute. Les indicateurs de valorisation ne peuvent pas prédire l’évolution du marché.