Pour tout investisseur long terme, la question de l’allocation à donner aux pays émergents se posera au moins une fois.
Il existe certes des indices couvrant le monde entier, en intégrant de fait les pays émergents (le MSCI ACWI – All Country World Index est le principal), mais ils sont rarement accessibles.
En effet, on ne trouve aucun ETF éligible au PEA (Plan d’Épargne en Actions), qui suivrait un indice couvrant à la fois les pays développés et émergents. Certains contrats d’assurance vie en proposent parfois, mais c’est assez rare
Malgré tout, investir dans un indice global pose toujours le même problème : les actions, secteurs et zones géographiques qu’il contient sont pondérées par la capitalisation boursière. Or, celle-ci peut refléter certains excès du marché, et intégrer certains déséquilibres (voir mon article sur les limites du MSCI World, par exemple).
Dans un indice tel que le MSCI ACWI, l’allocation dédiée aux pays émergents représente 11 %. Est-ce trop ou trop peu ? La question est intéressante et mérite que l’on tente d’y répondre.
Mais avant cela, voyons en quoi il est important d’investir dans les pays dits « émergents ».
Investir dans les pays émergents est essentiel pour la diversification de portefeuille
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un pays émergent ? Selon le FMI (Fonds Monétaire International), « les marchés émergents sont généralement des pays dont le revenu par habitant est faible ou moyen, qui ont entrepris des programmes de développement économique et de réforme et qui ont commencé à « émerger » en tant qu’acteurs importants de l’économie mondiale. »
Le constructeur d’indices MSCI (Morgan Stanley Capital International) a lancé son indice MSCI Emerging Markets en 1988. Il considère les pays émergents comme ceux ayant :
- Une main d’œuvre plus jeune avec un pouvoir d’achat en hausse, capable de soutenir la croissance économique.
- Des marchés qui deviennent plus accessibles avec la libéralisation des capitaux, qui attirent les investisseurs.
À l’origine, il comportait 10 pays représentant moins de 1 % de l’univers des actions.
Aujourd’hui, l’indice des pays émergents intègre 24 pays représentant 11 % de la capitalisation de l’indice global ACWI avec plus de 1 300 entreprises.
Au sein des pays émergents, la répartition est très disparate.
L’Asie-Pacifique représente 80 % de la capitalisation des pays émergents, notamment grâce à la Chine, qui pèse à elle seule 30 % de l’indice, et à des pays bien capitalisés, comme L’Inde, Taïwan, ou la Corée du Sud.
L’Europe et le Moyen-Orient ne représentent que 13 % de l’indice, et l’Amérique Latine 9 %.
Le poids de chaque pays a également tendance à évoluer dans le temps. On peut noter en particulier les évolutions opposées de la Chine et du Brésil.
L’indice évolue aussi régulièrement dans sa composition. Voici les derniers mouvements en date :
- L’Arabie saoudite et le Koweït sont entrés dans l’indice en 2019 et 2020.
- Le Pakistan et l’Argentine en sont sortis en 2021, la Russie en 2022.
MSCI distingue les pays émergents des pays dits « frontières » (MSCI Frontier Markets), que MSCI considère comme étant des pays plus petits, moins stables et à un stade de développement économique et financier encore moins avancé que les pays émergents.
Alors, pourquoi donc investir dans les pays émergents ?
À priori, la réponse est plutôt évidente : pour améliorer la diversification de son portefeuille.
Géographiquement parlant, les pays émergents permettent d’investir dans 24 pays supplémentaires, qui, combinés avec les 23 pays de l’indice MSCI World, offrent une meilleure couverture mondiale au travers des six continents.
Parenthèse : inclure les pays « frontière » améliorerait aussi la diversification géographique. Cela dit, inclure des pays souvent instable politiquement, fragiles économiquement et trop en marge de l’économie mondiale n’aurait pas beaucoup d’intérêt.
De plus, l’orientation sectorielle des pays émergents n’est pas la même que celle des pays développés. Les pays émergents sont davantage orientés vers la finance, la communication et les matériaux que les pays développés, mais moins sur la santé et l’industrie.
En termes de performance, les pays émergents peuvent-ils améliorer le rendement d’un portefeuille ? Si l’on se base sur les données historiques, la réponse est positive.
Les pays émergents, en tant qu’indice, existent depuis 1988. Si aucune comparaison n’est possible avant cette date, un recul de plusieurs décennies semble suffisant pour en tirer quelques conclusions.
Historiquement, les pays émergents ont connu une performance supérieure aux marchés développés. Depuis 1988, l’indice des pays émergents a généré un rendement annuel moyen de 10,1 %, contre 8,7 % pour l’indice des pays développés.
Cependant, cette performance est obtenue au prix d’une volatilité bien plus élevée (standard déviation de 21,4 % contre 14,8 %).
Ainsi, les pays développés conservent un meilleur rendement ajusté au risque, mesuré par le ratio de Sharpe (utilisé en finance pour évaluer le rendement ajusté au risque d’un investissement ou d’un portefeuille, un ratio de Sharpe élevé indique que le rendement du portefeuille compense adéquatement le risque pris).
Néanmoins, ces dernières années, les pays émergents ont été à la traîne, en sous-performant largement les pays développés.
Selon Morgan Stanley, la décennie 2010 a d’ailleurs été la pire de l’histoire pour les pays émergents, depuis que ces marchés sont identifiés et étudiés.
Pourtant, les cycles et les décennies se suivent bien souvent sans se ressembler, ce qui n’est pas une mauvaise nouvelle pour les pays émergents.
Par ailleurs, leur faible corrélation avec les pays développés (leurs phases de hausse/baisse n’ont généralement pas lieu en même temps) permet d’améliorer la diversification du risque dans un portefeuille global.
En résumé, il existe plusieurs raisons d’investir dans les pays émergents :
- Diversification géographique
- Diversification sectorielle
- Performance (ou du moins potentiel de hausse à long terme)
- Moindre corrélation avec les pays développés (diversification du risque)
Les pays émergents sont donc une classe d’actions potentiellement plus performante, mais aussi relativement plus risquée.
Ainsi, ces pays ont un gros potentiel de développement économique : leur PIB/habitant moyen était de 29 117 $ en 2022, contre 48 285 $ pour les pays de l’OCDE, qui regroupe des démocraties économiquement développées.
Par ailleurs, leur économie est encore peu financiarisée : leur valorisation boursière ne représente qu’environ 11 % de la capitalisation boursière mondiale, alors que leur PIB représente une part bien plus large du PIB mondial (voir plus bas). Même sans croissance économique, leurs actions auraient donc tout de même un potentiel de hausse.
Enfin, le prix de leurs actions est moins cher : leur P/E ratio (Price / Earnings, soit le ratio cours / bénéfices) n’est que de 14, contre 20 pour celui des pays développés. À bénéfice égal, les actions des pays émergents ont ainsi un prix de 42 % inférieur à celui des actions des pays développés.
Par conséquent, exposer son portefeuille aux marchés émergents permet d’intégrer une classe d’actions ayant un potentiel de hausse plus élevé, à l’image des small caps ou des actions value.
Néanmoins, investir dans les pays émergents comporte quelques risques et inconvénients.
Les risques des marchés émergents
MSCI a identifié 4 types de risques spécifiques aux pays émergents :
- Risque politique : les structures politiques sont plus instables, le cadre réglementaire peut évoluer de manière inattendue, des troubles civils peuvent perturber les entreprises locales.
- Risque de change : si la monnaie locale se déprécie par rapport au Dollar, les entreprises locales engagées dans le commerce mondial verront leurs coûts fortement augmenter et leurs revenus baisser, ce qui pourrait nuire à leur croissance et au rendement de leurs actions.
- Risque de liquidité : une plus faible liquidité de certains titres peut engendrer des coûts supplémentaires à l’achat, et réduire le rendement.
- Risque de crédit : ce risque, spécifique aux obligations, peut engendrer un défaut de remboursement sur la dette. Les obligations des pays émergents peuvent être moins réglementées, et l’investisseur sera alors moins bien protégé.
La moindre valorisation des actions des pays émergents par rapport aux pays développés reflète ces différents risques, mais est aussi une opportunité (qui dit moindre valorisation, dit meilleur potentiel de hausse).
Toute la question est de savoir si le potentiel de hausse des pays émergents continuera de se concrétiser dans la performance de leurs marchés, car il n’y a pas forcément de corrélation directe entre croissance économique et performance boursière.
Comment déterminer la bonne allocation pour les pays émergents ?
Abordons maintenant la grande question : au sein d’un portefeuille d’ETF à long terme correctement diversifié, quelle serait l’allocation idéale pour les pays émergents ?
Avant d’y réfléchir, il est intéressant de connaître la part que les investisseurs ont choisi d’allouer aux pays émergents.
Morgan Stanley a rassemblé les données publiées par plusieurs fournisseurs de données, Morningstar, EPFR (Emerging Portfolio Fund Research) et eVestment, qui montrent que les allocations dédiées aux pays émergents sont comprises entre 6 et 8 %.
Les allocations réelles des investisseurs comportent donc nettement moins de pays émergents que ce que l’indice MSCI ACWI n’en contient (11 %).
Nos recherches indiquent que les investisseurs sous-pondèrent de manière irrationnelle les marchés émergents.
Morgan Stanley Investment Management
Si ces chiffres paraissent relativement faibles, c’est peut-être en raison du biais domestique, qui pousse la plupart des investisseurs à n’investir que dans ce qu’ils connaissent.
Or, ce qu’on connaît avant tout, ce sont les actions nationales, européennes, américaines, voire également japonaises.
Ainsi, qui irait spontanément investir dans une entreprise philippine, péruvienne ou hongroise ? La méfiance risque de prendre le dessus.
Pourtant, il n’existe aucune explication rationnelle à se concentrer sur certains pays, et à en éliminer d’autres, pourtant viables.
Morgan Stanley met en évidence 3 critères suffisamment représentatifs pour estimer la part devant être allouée aux pays émergents.
1. Économie (PIB)
La prospérité économique peut être mesurée par le PIB (Produit Intérieur Brut). Pondérer chaque pays ou zone, proportionnellement à son PIB, permet de prendre en compte leur importance économique relative aux autres pays.
En 2022, le PIB cumulé des 24 pays émergents compris dans l’indice MSCI Emerging Markets était de 35 826 milliards de dollars, soit 36 % du PIB mondial. Le PIB cumulé des pays développés était de 54 183 milliards de dollars, soit 55 % du PIB mondial.
Si l’on définit l’allocation des pays émergents selon le poids de leur économie, ils devraient représenter 40 % d’un portefeuille.
À la fin des années 1980, le PIB des pays émergents ne représentait que 15 % du PIB mondial. Cette hausse spectaculaire s’explique par une croissance économique rapide, et les projections montrent que l’on s’attend à ce que cette proportion augmente encore.
Morgan Stanley a réalisé un calcul encore plus poussé, en intégrant d’autres facteurs :
- Le capital flottant, plus élevé dans les pays développés.
- La dilution du bénéfice par action, lié à la création plus élevée du nombre d’actions dans les pays émergents.
- L’exposition indirecte aux marchés émergents via les entreprises des pays développés qui réalisent des profits dans les économies émergentes, et inversement.
La prise en compte de ces différents facteurs conduit à une allocation de 17 % pour les pays émergents.
2. Capitalisation boursière mondiale
Cette approche paraît être la plus logique à première vue : le poids de chaque pays devrait simplement être proportionnel à sa capitalisation boursière.
MSCI a déjà fait le calcul dans son indice ACWI (All Country World Index), en tenant compte du flottant, de la liquidité et du stade de développement des marchés financiers.
L’indice ACWI comporte ainsi 11 % de pays émergents. Ici aussi, la proportion suit une tendance à l’augmentation au cours du temps : elle n’était que de 1 % en 1988 !
3. Rendement / risque
La Théorie Moderne du Portefeuille, développée par Harry Markowitz en 1952, se base sur le couple rendement / risque. Du côté du risque, la variance moyenne permet de calculer la volatilité des actifs. Si l’on souhaite optimiser le rendement / risque d’un portefeuille, il est possible de combiner le rendement des actifs à leur volatilité comme mesure du risque. Cela nous donne le ratio d’information d’un portefeuille.
Selon ces critères, le portefeuille optimum pour obtenir le meilleur ratio d’information comporterait 27 % de pays émergents.
J’ai également testé différentes combinaisons, qui vont d’un portefeuille comportant 0 % d’actions de pays émergents (soit 100 % de MSCI World), jusqu’à un portefeuille comportant 50 % d’actions de pays émergents et 50 % de pays développés (soit 50 % de MSCI Emerging Markets / 50 % de MSCI World).
Plus on augmente la proportion de pays émergents, meilleure est la performance. Ce n’est pas surprenant, sachant que les pays émergents sont historiquement plus performants.
Toutefois, si l’on ne souhaite pas que l’amélioration de la performance se fasse au détriment du risque, il est possible d’utiliser le ratio de Sharpe.
Le ratio de Sharpe est une variante du ratio d’information, qui nous renseigne sur le rendement obtenu par unité de risque. Il montre que le rendement ajusté au risque est maximal pour une allocation comprise entre 20 et 40 % de pays émergents.
Il est même amélioré par rapport à un portefeuille sans pays émergents, qui serait le moins risqué. Cela montre le pouvoir de la diversification : mixer deux actifs peut permettre d’obtenir une meilleure performance que chacun des actifs pris séparément, ou un meilleur rendement ajusté au risque, selon l’objectif poursuivi.
Le calcul de la frontière efficiente permet d’aboutir à un chiffre plus précis, montrant qu’une allocation de 30 % de pays émergents permet de maximiser le ratio de Sharpe.
Ce chiffre est cohérent avec les calculs de Morgan Stanley, qui fixait la proportion optimale de pays émergents à 27 % pour optimiser le ratio d’information.
En s’écartant un peu du sujet, si l’on souhaite maximiser le rendement, sans s’occuper du risque, il faudrait viser une allocation de 80 % de pays émergents et de 20 % de pays développés.
Au contraire, si l’on souhaite uniquement minimiser les risques, sans s’occuper du rendement, il ne faudrait mettre aucun pays émergent, car même s’ils améliorent le rendement par unité de risque, ils augmentent la volatilité d’un portefeuille.
Une autre métrique intéressante à observer pour gérer le risque est la Value at Risk (VAR), qui indique le pourcentage de pertes potentielles qu’un portefeuille peut subir sur une année donnée, avec une confiance de 95 %. Il s’agit donc de probabilités statistiques.
La Value at Risk (VAR) montre que le niveau de pertes minimum est obtenu avec une allocation de 10 à 20 % de pays émergents. La VAR diffère donc un peu de la volatilité (qui, sans pays émergents, est réduite au maximum), sur la question du risque.
Pour résumer, l’allocation idéale pour optimiser le couple rendement / risque est de 27 % selon le ratio d’information calculé par Morgan Stanley. D’après mes propres tests, il est de 20 à 40 % en considérant le ratio de Sharpe, et de 30 % selon le calcul plus précis de la frontière efficiente. J’aboutis donc à peu de choses près à la même allocation que celle obtenue par Morgan Stanley.
Conclusion : la bonne allocation pour les pays émergents
Il ne fait aucun doute que :
- Un portefeuille diversifié doit intégrer des pays émergents.
- La plupart des investisseurs investissent trop peu dans les pays émergents, sans doute à cause d’un biais domestique (méconnaissance et peur de l’inconnu).
Pour autant, définir une allocation pour les pays émergents n’est pas simple. Selon les critères considérés, elle peut varier fortement, car chaque approche a ses propres critères, avantages et limites.
Morgan Stanley résume dans le graphique suivant les différentes pondérations obtenues selon l’approche considérée. On pourra noter qu’elles sont toutes supérieures à l’allocation moyenne choisie par les investisseurs (6 à 8 %), y compris à celle de MSCI, pourtant assez conservatrice.
En premier lieu, il semble donc clair que beaucoup d’investisseurs devraient probablement augmenter leur allocation en pays émergents.
Ensuite, face à une telle hétérogénéité d’allocations possibles, le plus raisonnable pourrait consister à se situer quelque part dans la moyenne des approches acceptables, ce qui nous situerait autour de 25 %.
En incluant l’optimisation du couple rendement / risque, il ne paraît pas incohérent de détenir entre 25 et 30 % de pays émergents dans la partie actions d’un portefeuille.
Vous pourriez penser que c’est beaucoup trop, et sans doute n’avez-vous jamais pensé investir autant dans les pays émergents (dites-moi si je me trompe !).
Il est aussi important de ne pas se laisser influencer par les piètres performances récentes des pays émergents, ce qui reviendrait cette fois à tomber dans le biais de récence. Cela peut d’ailleurs être l’une des causes de la sous-pondération des pays émergents ces dernières années.
L’histoire nous apprend que c’est justement lorsqu’un actif est boudé qu’il devient intéressant d’y investir (attention, ça ne s’applique qu’aux actifs non spéculatifs, ayant un réel potentiel de hausse à long terme, et donc pas aux actions individuelles). Tout est cyclique, et chaque actif connaît un jour ce type de phase, qui ne dure pas éternellement.
Une allocation faisant la moyenne de différentes approches objectives a le mérite de laisser l’aspect émotionnel de côté, pour tendre vers l’optimisation, de façon rationnelle.