La question de l’investissement dans la finance durable se pose de plus en plus, compte tenu des enjeux actuels. Pourtant, investir durablement s’avère complexe, à plusieurs niveaux.
Dans cet article assez complet, j’aborde plusieurs sujets : de la définition de la finance durable jusqu’aux fonds durables existants, avec différents degrés de durabilité, en passant par la réglementation et les indices durables actuellement disponibles, jusqu’à l’utilité d’investir dans la finance durable.
De quoi faire le tour d’une question en évolution permanente.
Qu’est-ce que la finance durable ?
La finance durable est une approche de la finance qui vise à soutenir des projets et des entreprises ayant un impact positif sur la société et l’environnement, tout en assurant une rentabilité économique.
Les premiers jalons de la finance durable ont été posés dans les années 70, avec la prise de conscience à large échelle des problèmes environnementaux. Cela dit, elle ne s’est vraiment développée qu’à partir des années 2000.
On commence alors à parler de finance responsable, qui repose non plus uniquement sur la performance financière, mais sur la prise en compte de risques extra-financiers, notamment en intégrant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (E,S,G).
Pour rappel, les critères ESG, largement connus et répandus aujourd’hui, signifient :
- Environnement : changement climatique, biodiversité, gestion des ressources, pollution, déforestation.
- Social : droits humains, esclavage moderne, travail des enfants, conditions de travail, inégalités.
- Gouvernance : corruption, rémunération des dirigeants, équilibre des pouvoirs, éthique des affaires, transparence, lobbying politique.
Les fonds qui prennent en compte ces critères portent généralement l’acronyme ESG ou ISR. Par exemple : » Amundi MSCI USA ESG Leaders ». Durant les dernières décennies, on a progressivement vu se développer des labels éthiques. Parmi les plus connus, on retrouve :
- Le label ISR (Investissement Socialement Responsable), créé en 2016, utilise les critères ESG pour définir un univers d’investissement responsable, en excluant certaines entreprises ou en surpondérant les mieux notées.
- Le label GreenFin, créé en 2015, vise à garantir la qualité verte des fonds d’investissement, en excluant notamment les entreprises du secteur des énergies fossiles et nucléaires.
- Le label Finansol, créé en 1997, distingue les fonds solidaires qui investissent dans l’ESS (Economie Sociale et Solidaire), dont l’objectif est d’avoir un impact social fort (par exemple, faciliter l’accès à l’emploi et au logement aux personnes en difficulté).
Les fonds peuvent ainsi posséder un, ou plusieurs labels, en étant par exemple « ISR solidaire ».
Bien d’autres labels, moins connus pour la plupart, ont aussi été créés, tels que le label Toward Sustainability, lancé en 2019 par Febelfin, le label Relance, lancée 2020 par le Ministère de l’Économie et de la Finance, ou le label CIES du Comité Intersyndical de l’Épargne Salariale.
Jusqu’à ces dernières années, la finance durable consistait donc à investir dans des fonds labellisés, créés par l’État ou des organismes indépendants.
Les investisseurs sensibles aux questions éthiques avaient donc la possibilité de cibler ces fonds labellisés.
La finance durable était jusqu’ici un vaste panier de labels et sigles, sans que l’on puisse facilement s’y retrouver : qu’est-ce qui distingue réellement ces labels ? Certains sont-ils plus durables que d’autres ? N’est-ce pas une porte ouverte vers le greenwashing ?
Ces dernières années, l’Union Européenne s’est attaquée au problème de la finance durable, avec son arme préférée : la réglementation.
(si la réglementation vous barbe, passez directement aux comparaisons d’ETF selon leur degré de durabilité).
L’évolution de la réglementation
La principale réglementation sur le sujet est la bien nommée MIFID II (Markets in Financial Instruments Directive). Lancée en 2018. c’est une réglementation de l’Union Européenne visant à renforcer la protection des investisseurs et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers. Assez classique jusqu’ici.
Cependant, cette réglementation vise aussi à renforcer la finance durable en redirigeant l’épargne vers les projets vraiment durables, à éviter le greenwashing et à harmoniser la définition de la finance durable au niveau européen. Ses principaux axes de travail sont :
- Clarifier ce qui constitue un investissement durable, ou pas, et si oui dans quelle mesure (tout un programme).
- Obliger les émetteurs de fonds à fournir des informations détaillées sur les caractéristiques ESG des produits financiers.
- Demander aux conseillers financiers de prendre en compte les préférences ESG des clients dans leurs recommandations d’investissement (là, je suis concerné).
MIFID II est une énorme machine, qui est encore loin d’être aboutie aujourd’hui, plusieurs années après son lancement. La finance durable est un objet en mouvement, qui n’a pas encore acquis sa forme définitive (s’il doit en avoir une).
Comme souvent, la réglementation a complexifié les choses, au lieu de les simplifier, en donnant non pas une mais 3 définitions de la finance durable, basées sur trois approches différentes :
- La taxonomie européenne
- La réglementation SFDR
- Les principales incidences négatives
Cela vous paraît complexe ? Cela l’est juste un petit moins que ce que vous pensez ! Néanmoins, je devais avoir à peu près la même tête que vous, lorsque j’ai entendu ces expressions pour la première fois.
Voici une explication assez synthétique de ces trois définitions.
1. La taxonomie européenne
La taxonomie européenne est une sorte de grand dictionnaire qui définit les activités économiques qui peuvent être considérées comme durables, à travers 6 thèmes différents :
- L’atténuation du changement climatique.
- L’adaptation au changement climatique.
- La protection et l’utilisation durable des ressources marines et hydriques.
- La transition vers une économie circulaire.
- La prévention et le contrôle de la pollution.
- La protection et la restauration de la biodiversité.
Pour être considéré comme durable du point de vue de la taxonomie, un investissement doit être aligné l’un de ces 6 thèmes, sans nuire aux autres.
Pour vérifier l’alignement, chaque thème intègre un cahier des charges comportant des critères techniques.
Par exemple, un investissement dans une entreprise de recyclage pourrait être considéré comme durable (il est aligné sur le point 5 « prévention et contrôle de la pollution »), mais il doit aussi ne pas avoir d’incidence négative sur le changement climatique, les ressources en eau, la biodiversité, etc.
La taxonomie européenne prend donc en compte des critères très stricts pour définir ce qu’est un investissement durable. On pourrait dire que la taxonomie européenne est « vert foncé ». En conséquence, aujourd’hui, peu d’entreprises et de fonds d’investissement sont alignés sur la taxonomie européenne.
Seules les entreprises et fonds axés sur les énergies renouvelables semblent pouvoir prétendre à un alignement sur la taxonomie, sachant qu’à l’heure actuelle, la plupart des fonds ne donnent aucune information sur leur degré d’alignement avec la taxonomie.
Du fait du très faible nombre de fonds actuellement alignés sur la taxonomie européenne, de leur concentration sectorielle et de leurs frais élevés, je ne vais pas donner d’exemple.
Clairement, la réglementation est allée bien plus loin que ce qui existe pour le moment.
Toutefois, on peut s’attendre à ce que des produits financiers alignés sur la taxonomie européenne soient créés au fur et à mesure, dans les prochaines années.
2. Le règlement SFDR
SFDR signifie Sustainable Finance Disclosure Regulation, soit en français : règlement sur la publication d’informations durables dans la finance.
Ce règlement classe tous les produits financiers dans 3 catégories distinctes :
- Les produits « Articles 6 » : les produits financiers qui n’intègrent pas de critères durables.
- Les produits « Article 8 » : les produits financiers qui prennent en compte des caractéristiques durables, sur les aspects environnementaux ou sociaux, mais sans contrainte particulière.
- Les produits « Article 9 » : les produits financiers ayant un objectif d’investissement durable, spécifique et contraignant.
Le règlement SFDR est moins strict que la taxonomie, et peut être sujet à interprétation. Ainsi, il est facile pour un fonds dans une thématique sociale ou environnementale d’être classé article 8.
Il a toutefois le mérite de classer les produits financiers selon leur degré de durabilité : aucun (« gris ») pour les articles 6, léger (« vert clair ») pour les articles 8, et fort (« vert foncé ») pour les articles 9.
Bonne nouvelle, la plupart des produits financiers sont aujourd’hui classés selon qu’ils sont considérés comme article 6, 8 ou 9. Il est donc aujourd’hui bien plus simple de se repérer avec le règlement SFDR qu’avec la taxonomie européenne.
À titre d’exemple, les produits « articles 8 » sont tous ceux qui mettent en avant les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) ou un label, comme le Label ISR (Investissement Socialement Responsable).
Les fonds ISR et ESG fonctionnent souvent sur le principe « Best-in-Class », ou « Best-in-Progress », en excluant les entreprises les moins bien notées sur les critères ESG, secteur par secteur, pour ne pas déséquilibrer l’indice de référence.
Par exemple, le Amundi PEA S&P 500 ESG UCITS ETF Acc (FR0013412285) est un produit « article 8 » (c’est indiqué sur le site d’Amundi) : il prend en compte les critères ESG en suivant l’indice S&P 500 ESG+. Cet indice intègre 317 entreprises, sur les 503 de l’indice classique S&P 500.
Un tri a donc été effectué selon les critères ESG, mais sans être très spécifique sur les facteurs durables pris en compte : c’est ainsi que fonctionnent les produits « article 8 ».
De nombreux ETF et fonds d’actions étant classés « article 8 », il est très facile d’intégrer une légère touche de durabilité (« vert clair ») dans ses investissements.
Cependant, la réglementation européenne considère que seuls les produits « articles 9 » sont durables (« vert foncé »).
Et c’est là que cela se complique, car comme pour la taxonomie européenne, les fonds d’actions classés « article 9 » sont dans des niches très spécifiques (énergies renouvelables la plupart du temps), ce qui ne permet pas de construire un portefeuille d’actions diversifié.
De plus, il s’agit souvent de produits comportant beaucoup de frais (exemple : 3 % de frais d’entrée, 2 % de frais de gestion annuels), comme ceux proposés par la société de gestion Sycomore AM, ce qui nuit à leur rendement et ne permet pas de construire un portefeuille optimisé et efficient.
Bref, pour la partie en actions, il y a actuellement peu de produits « vert foncé » accessibles. En revanche, en ce qui concerne la partie obligataire/sécurisée du portefeuille, il y a de quoi faire.
Ainsi, il existe de nombreux fonds et ETF d’obligations « articles 9 », qui sont considérés comme durables. Voici quelques exemples selon le type de produit :
- Fonds à capital garanti : le Fonds en euros Objectif Climat, distribué par Spirica.
- ETF d’obligations d’état : Amundi Euro Government Green Bond UCITS ETF Acc (LU2356220926)
- ETF d’obligations d’entreprises : Tabula EUR IG Bond Paris-aligned Climate UCITS ETF Acc (IE00BN4GXL63)
Lorsqu’un ETF est classé « Article 9 » (ou « article 8 »), c’est en général clairement indiqué sur le site de l’émetteur, comme dans l’exemple ci-dessous.
Note : il existe d’autres exemples de fonds ou ETF obligataires « article 9 », il ne s’agit pas d’un conseil en investissement pour ceux qui sont présentés.
Si l’on souhaite construire un portefeuille diversifié et efficient qui soit le plus durable possible, il faudra donc mixer les fonds « article 8 » (vert clair) pour les actions, et les fonds « article 9 » (vert foncé) pour les obligations et les fonds en euros.
Il faudra également attendre que les produits proposés correspondent à la nouvelle réglementation, afin que l’on puisse trouver des ETF alignés sur la taxonomie européenne, ou des fonds d’actions « article 9 ».
3. Les principales incidences négatives (PAI)
L’approche par les principales incidences négatives, ou PAI (Principal Adverse Impacts), vise à prendre en compte l’impact négatif des entreprises sur les facteurs de durabilité : la pollution, la contribution au réchauffement climatique, les discriminations, la violation des droits humains, le travail des enfants, la malbouffe, etc.
Comme il n’existe aucune liste prédéfinie d’impacts négatifs, chaque gérant de fonds peut choisir les incidences négatives qui seront étudiées, en fonction du secteur d’activité de son fonds, ou même de ses préférences personnelles.
Les fonds qui prennent en compte les PAI doivent ainsi analyser l’impact sur les facteurs de durabilité qu’ils ont sélectionnés, puis diminuer ces risques, soit en sélectionnant des entreprises qui ont peu d’impact négatifs sur un ou plusieurs facteurs, soit en s’assurant que les entreprises présentes dans le fonds ont une stratégie de diminution de ces risques.
Ainsi, un fonds dont les entreprises mesurent leur intensité carbone ou sont dans le secteur de la décarbonation, prend en compte les incidences négatives sur le facteur climat.
À titre d’exemple, l’ETF Amundi MSCI World SRI Climate Net Zero Ambition PAB UCITS ETF Acc (IE000Y77LGG9) mesure l’empreinte carbone des entreprises qu’il contient, en calculant leurs émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre (scope 1, 2 et 3).
Aujourd’hui, de nombreux fonds prennent en compte tout un tas d’incidences négatives, de différentes manières, certaines en lien avec les ODD de l’ONU.
Sous le prisme des PAI, il y a donc à boire et à manger en ce qui concerne les fonds durables : l’objectif est de permettre la mise sur le marché de fonds durables prenant en compte des critères très variés. On se dirige vers la personnalisation de l’investissement : à l’image des régimes alimentaires, chacun pourra trouver un fonds répondant aux facteurs spécifiques qu’il recherche.
La réglementation étant posée, comment s’y retrouver concrètement dans la jungle des fonds durables ?
Comparaison d’ETF selon leur degré de durabilité
Pour mieux comprendre les différents niveaux de prise en compte de la durabilité par les différents ETF responsables existants, l’idéal est d’étudier la manière dont ils sont construits, puis de les comparer.
Nous partons du niveau zéro en termes de durabilité (les fonds « gris »), jusqu’au plus haut niveau de prise en compte dans ce qui existe actuellement (vert foncé).
Tous les fonds comparés sont des ETF, car je considère qu’il est inutile d’avoir un fonds durable, si celui-ci pille ses investisseurs en leur prenant des frais très élevés. Les ETF nous assurent que ce ne sera pas le cas, avec des frais minimes.
La comparaison porte d’abord sur les ETF actions, puis sur les ETF obligataires.
Pour plus de simplicité, tous les ETF sont basés sur le même indice de référence (le MSCI World ou ACWI), et sont simplement des variations de cet indice.
Enfin, j’ai sélectionné des ETF ayant le même émetteur (Xtrackers), car c’est celui qui propose le plus d’informations à destination des investisseurs, ce qui facilite les comparaisons.
Note : Il ne s’agit pas d’un conseil en investissement, mais seulement de présenter quelques ETF à titre d’exemple.
Certaines informations récoltées proviennent de Trackinsight, qui affiche une note ESG pour chaque ETF. Les notes ESG sont attribuées par Conser, un acteur indépendant qui définit également le pourcentage de titres ayant un consensus négatif.
Le premier ETF (Xtrackers MSCI World) est un ETF classique suivant l’indice MSCI World. Il ne prend en compte aucun critère ESG, n’a aucune caractéristique durable. Nous sommes dans l’investissement gris.
Ainsi, sa notation ESG est mauvaise (C+), et Conser estime que 33 % des entreprises de l’indice sont controversées et engendrent des impacts négatifs majeurs.
Le second ETF (Xtrackers MSCI World ESG Screened) applique les critères ESG, il promeut des caractéristiques durables (article 8 SFDR) et prend en compte les incidences négatives. Il s’agit d’un investissement vert. Pour autant, seul 1 % de l’ETF est considéré comme durable par la SFDR.
Sur les 1456 entreprises du MSCI World, les 144 plus mauvaises d’un point de vue ESG ont été exclues, ce qui améliore à la fois la note ESG (B) et réduit légèrement le nombre d’entreprises controversées (29 % au lieu de 33 %). Cet ETF représente le niveau minimal de l’investissement durable.
Le troisième ETF (Xtrackers MSCI World ESG Screened) prend aussi en compte les critères ESG et les incidences négatives, mais il va plus loin que le précédent : il comporte 10 % d’investissements considérés comme durables par la SFDR, et plus de 50 % des entreprises ont été exclues de l’indice, à la fois sur leur notation ESG et sur leur impact climatique (il n’en reste que 695 sur 1456).
Ainsi, cet ETF obtient une meilleure note ESG (B+), et ne contient plus que 10 % d’entreprises controversées.
Enfin, le dernier ETF (Xtrackers MSCI Global SDG 6) prend en compte les critères ESG sur une thématique précise : l’objectif de développement durable n°6 des Nations Unies, qui consiste à obtenir une eau propre et épurée.
L’objectif de ne sélectionner que des entreprises qui participent à un ODD des Nations Unies permet d’augmenter la proportion d’investissements durables selon la SFDR (25 %), d’améliorer encore la notation ESG (A+) et de maintenir un faible nombre d’entreprises controversées (10 %).
Cependant, il s’agit d’un ETF thématique (sur l’eau), qui n’est donc pas très diversifié. Il ne contient d’ailleurs que 100 entreprises, toutes du même secteur, sur les 9000 de l’indice ACWI, le plus large au monde. À ce stade, la durabilité se heurte au principe d’une bonne diversification.
Comme on peut le remarquer, aucun ETF n’est durable au sens de la taxonomie européenne, qui constitue le niveau de durabilité le plus strict à l’heure actuelle. Comme je l’ai évoqué, la réglementation durable est allée beaucoup plus vite que les produits existants. De même, les ETF actions « article 9 » sont très rares.
Comparons maintenant quelques ETF obligataires, qui permettent d’aller plus loin dans la durabilité.
Le premier ETF (Xtrackers Corporate Bond) comporte des obligations d’entreprises. Il ne prend en compte aucun critère ESG, et n’est en rien considéré comme durable. Nous sommes à nouveau dans l’investissement gris.
Sa notation ESG est médiocre (B-), et 31 % de ses obligations émanent d’entreprises controversées. Il est toutefois très diversifié, avec 3667 obligations contenues dans l’ETF.
Le second ETF (Xtrackers Eurozone Government Bond ESG Tilted) comporte des obligations d’état. Il applique des critères ESG, promeut des caractéristiques durables (Article 8) et prend en compte les incidences négatives. Il s’agit d’un investissement vert. Pourtant, il n’est pas considéré comme durable par la SFDR.
30 obligations ont été exclues de l’indice classique (il en reste 490 / 520), sur la base des critères ESG, ce qui améliore sa notation ESG (A). L’absence d’entreprises controversées s’explique par le fait qu’il s’agit d’obligations d’état : aucun pays de la Zone Euro n’est considéré comme controversé.
Enfin, le dernier (Xtrackers Eurozone Government Green Bond) comporte également des obligations d’État. Il prend en compte les critères ESG, mais cette fois avec un objectif contraignant (Article 9) : les obligations détenues doivent servir à financer des projets ayant un impact environnemental positif. Dans ce cas, la classification en Green Bond (obligations vertes) est déterminée par la Climate Bond Initiative. Il s’agit d’un investissement que l’on pourrait qualifier de vert foncé.
En conséquence, la grande majorité des obligations de l’indice de référence ont été exclues (seulement 26 sur 520 sont conservées), et la notation ESG est maximale (A+). L’ETF perd toutefois en diversification (95 % d’obligations en moins), mais sachant que les 26 restantes sont bien réparties entre plusieurs pays, la diversification reste correcte.
Il s’agit ici de l’un des ETF les plus orientés sur la durabilité parmi tous ceux qui existent. Les ETF d’obligations d’état durables, non liés à des entreprises, permettent actuellement d’aller plus loin dans la durabilité que les ETF d’actions, nécessairement liés à des entreprises.
La jungle des indices ESG
On assiste depuis quelques années à un foisonnement de création d’indices responsables, avec différents niveaux de prise en compte ESG. Rien que chez MSCI, on trouve les indices suivants :
- ESG Broad
- ESG Enhanced
- ESG Filtered
- ESG Focus
- ESG Leaders
- ESG Screened
- ESG Tilted
- ESG Universal
On retrouve la même diversité du côté des indices « climat » ou réduction carbone.
L’évolution vers la personnalisation des préférences des investisseurs devrait accroître encore le nombre de ces indices. Aujourd’hui, déjà, il devient difficile de s’y retrouver.
Il est néanmoins possible de comparer aisément les différents indices existants, selon leur prise en compte ESG / climat plus ou moins forte, ainsi que selon les exclusions plus ou moins nombreuses.
Le tableau suivant compare les principaux indices suivis par les ETF les plus courants, en prenant comme base le MSCI Europe. Toutefois, ces indices ont souvent des équivalents pour les États-Unis, l’ensemble des pays développés ou les pays émergents.
Quelle que soit la région considérée, les critères appliqués seront donc essentiellement les mêmes.
Indices Généraux | Note ESG | Entreprises contenues | Consensus négatif |
---|---|---|---|
MSCI Europe SRI | A | 113 / 418 | 11,61 % |
MSCI Europe ESG Leaders | A | 196 / 418 | 12,95 % |
FTSE Developed Europe All Cap Choice | A- | 1033 / 1255 | 17,52 % |
MSCI Europe ESG Universal Select Business Screen | A- | 381 / 418 | 18,83 % |
MSCI Europe ESG Enhanced Focus CTB | B+ | 385 / 418 | 19,64 % |
MSCI Europe ESG Broad CTB | B | 379 / 418 | 20,21 % |
MSCI Europe Select ESG Screened | B | 383 / 418 | 24,85 % |
MSCI Europe ESG Screened | B | 386 / 418 | 25,17 % |
MSCI Europe ESG Filtered MIN TE | B- | 326 / 418 | 24,96 % |
MSCI Europe | C+ | 418 /418 | 30,14 % |
Sur la base des critères retenus, les indices généraux SRI sont les plus sévères en matière de durabilité : le MSCI Europe SRI exclut près de 75 % des entreprises contenus dans l’indice parent (MSCI Europe) et divise par 10 le nombre d’entreprises ayant un consensus négatif (13 contre 125 pour le MSCI Europe), ce qui lui permet d’obtenir une note ESG de A, la deuxième note la plus élevée.
La même comparaison peut être faite avec les indices « climat ».
Indices Généraux | Note ESG | Entreprises contenues | Consensus négatif |
---|---|---|---|
Euronext Low Carbon 100 Europe PAB | A | 100 / 500 | 5,92 % |
MSCI Europe SRI Filtered PAB | A | 106 / 418 | 10,95 % |
MSCI Europe SRI Select Reduced Fossil Fuel | A | 115 / 418 | 11,61 % |
MSCI Europe SRI Low Carbon Select 5% Issuer Capped | A | 119 / 418 | 12,34 % |
MSCI Europe Climate Change ESG Select | A- | 374 / 418 | 16,60 % |
MSCI Europe ESG Broad CTB Select | B | 380 / 418 | 20,21 % |
MSCI Europe Climate Paris-Aligned Select | B+ | 282 / 418 | 18,82 % |
MSCI Europe Climate Paris Aligned Index | B+ | 259 / 418 | 20,58 % |
MSCI Europe Climate Paris Aligned Filtered | B+ | 258 / 418 | 20,60 % |
MSCI Europe ESG Climate Paris Aligned Benchmark Select | B+ | 226 / 418 | 21,89 % |
MSCI Europe | C+ | 418 /418 | 30,14 % |
Toujours avec les mêmes critères, c’est l’indice Euronext Low Carbon 100 Europe PAB qui apparaît comme le plus durable des indices « climat » : 80 % des entreprises de l’indice parent (Euronext Europe 500) ont été exclues et seulement 6 entreprises ont un consensus négatif. L’indice d’Euronext obtient ainsi une note ESG de A, et se classe devant l’ensemble des indices MSCI sur le climat.
Quel est l’impact d’un investissement responsable ou durable ?
C’est bien la grande question, que l’on peut légitimement se poser.
En premier lieu, il faut distinguer les marchés primaires et secondaires. Lorsqu’une entreprise se finance sur les marchés, elle émet des titres de propriété (actions) ou des titres de dette (obligations) sur le marché primaire. Ces titres seront achetés par des investisseurs-financeurs : par leur investissement, ils vont financer l’entreprise.
Une fois créés, les titres émis deviennent échangeables sur les marchés. Cela donne le droit aux premiers investisseurs qui les ont achetés de changer d’avis, et de les revendre. Dans ce cas, l’échange des titres se fait sur le marché secondaire : la bourse.
La bourse est le marché de l’occasion : les investisseurs s’échangent des produits qui existent déjà. Autrement dit, la bourse ne finance rien.
Par exemple : si un investisseur A achète une action d’une entreprise produisant des panneaux solaires sur le marché boursier, l’investisseur A ne finance pas l’entreprise de panneaux solaires, puisque son argent va dans la poche d’un investisseur B, qui lui a revendu son action.
De même, si vous achetez une action Total, vous ne financez pas Total, vous donnez simplement de l’argent à un autre investisseur, en échange de son action Total.
Un investissement sur le marché primaire est donc plus impactant qu’un investissement sur le marché secondaire, puisque c’est le marché primaire qui permet de financer des entreprises / projets.
Cela signifie-t-il pour autant que si l’on achète l’ETF le plus durable, ou une action de la pire entreprise d’énergies fossiles au monde, c’est équivalent dans les deux cas ? Eh bien, pas exactement.
Même si acheter un titre (action ou obligation) en bourse ne permet pas de financer l’entreprise ou l’organisme qui l’a émis, cela permet néanmoins de soutenir son cours de bourse.
Par exemple, s’il y a plus d’acheteurs d’actions Total que de vendeurs d’actions Total, le cours de bourse de Total augmentera, selon la loi de l’offre et de la demande. Inversement, s’il y a moins d’acheteurs que de vendeurs, le cours de l’action Total chutera.
Un cours de bourse en hausse est un signal positif pour une entreprise, pour plusieurs raisons :
- Sa capitalisation boursière, qui représente sa valeur de marché, augmente, ce qui est rassurant pour les actionnaires, les dirigeants ainsi que pour les banques qui lui ont prêté de l’argent.
- Sa capacité de financement augmente : l’entreprise peut se faire prêter de l’argent plus facilement, car le risque perçu par les prêteurs est moindre.
- La confiance des actionnaires se renforce : ils sont confortés dans leur choix d’être actionnaires de l’entreprise.
- L’entreprise devient plus attractive : ses salariés peuvent bénéficier d’actions gratuites ou d’options d’achat d’actions à un prix inférieur au prix de marché.
- Les dirigeants et actionnaires s’enrichissent, même s’il s’agit d’un enrichissement théorique tant que leurs actions ne sont pas vendues.
Selon que l’on souhaite soutenir ou non une entreprise, l’achat (ou le non-achat) de ses titres aura donc plusieurs impacts, bien réels pour l’entreprise.
D’ailleurs, si vous hésitez entre acheter un indice contenant des entreprises controversées, comme Total, et acheter un indice qui exclut ce type d’entreprise, la vidéo suivante pourrait vous intéresser.
Les indices qui prennent en compte des caractéristiques durables ou ESG ont une influence réelle, puisqu’en excluant certaines entreprises de l’indice (ou en diminuant leur pondération), ils leur retirent un flux d’acheteurs, ce qui handicape leur cours de bourse, au profit d’entreprises plus vertueuses, qui sont conservées dans l’indice.
Les entreprises controversées ont donc intérêt à ne pas faire partie de celles qui sont exclues des indices ESG / durables, car cela pourrait se ressentir sur leur cours de bourse, et par conséquent sur leur attractivité et leur capacité de financement.
Pour résumer :
- C’est sur le marché primaire que la finance durable a le plus d’impact.
- Sur le marché secondaire, l’impact de la finance durable est moindre parce qu’indirect, mais il est aussi bien réel.
Autrement dit, si vous êtes particulièrement sensible à la finance durable, financer une levée de fonds (marché primaire) d’une entreprise / organisation qui agit concrètement pour mettre en place des projets durables aura bien plus d’impact que d’acheter un ETF ESG / responsable (marché secondaire).
Choisir de placer son argent selon l’impact et le degré de durabilité souhaité
Il est possible de classer plusieurs types de placements ou investissements en plusieurs niveaux, selon leur impact durable plus ou moins fort.
Pour plus de clarté, j’ai ajouté un code couleur : du vert clair, pour une prise en compte minimale de la durabilité, jusqu’au vert foncé, pour une prise en compte plus poussée, en passant par le bleu pour la philanthropie, qui n’est pas un investissement, donc difficilement comparable.
Le niveau 0 de la durabilité englobe tous les investissements classiques (gris), aucun critère durable n’est pris en compte, seule la rentabilité est recherchée.
Le niveau 1 correspond aux investissements responsables (vert clair), qui intègre les approches ESG et ISR. On retrouve la plupart des ETF d’actions dits « ESG ». La rentabilité est similaire aux investissements classiques.
Le niveau 2 correspond à la finance durable au sens de la réglementation MIFID 2 (vert), qui intègre les obligations vertes (green bonds) et quelques ETF d’actions très ciblés, sur les énergies renouvelables par exemple. La rentabilité reste assez proche des investissements classiques.
Le niveau 3 correspond aux investissements à impact (vert foncé), qui consistent à lever des fonds pour financer des projets durables. On retrouve l’investissement en private equity (actions non cotées), le crowdfunding et l’émission d’obligations, lorsqu’ils sont orientés vers des projets ayant un objectif d’impact durable. La rentabilité est toujours un objectif, mais secondaire du fait de son incertitude.
Le niveau 4 correspond à la philanthropie (bleu), avec laquelle on sort de l’objectif de rendement, puisque l’argent est donné, et non investi. Les projets sont financés à perte. Les fonds de dotation et fondations peuvent toutefois maintenir leur capital, en engageant uniquement les intérêts générés. Il s’agit d’un autre modèle, qui n’est pas forcément plus durable que l’investissement à impact (tout dépend du type de projet financé), d’où sa couleur différente.
Peut-il y avoir une finance vraiment durable ?
La finance est un outil, qui n’est intrinsèquement ni bon ni mauvais. La finance sert à financer des choses. C’est évident, mais il est parfois bon de le rappeler.
Actuellement, les plus grandes banques mondiales et françaises choisissent de continuer à financer allègrement les énergies fossiles.
C’est avant tout un choix : guidé par la rentabilité, certes, mais la finance, c’est comme l’économie : ce sont des outils dont nos décideurs politiques et les conseils d’administration des entreprises orientent l’utilisation.
Ainsi, la finance durable existe, au cas par cas, lorsqu’elle finance des projets durables. Évidemment, la définition de ce qui est durable ou pas fait débat, et chacun peut avoir sa propre définition.
Pour autant, la question de la finance durable ne se pose pas que pour les grands groupes. À notre échelle individuelle, si nous obtenons un prêt d’une banque ou une aide de l’État pour financer la rénovation thermique de notre habitation, il est possible de considérer qu’il s’agit de finance durable.
Inversement, si nous obtenons un prêt pour financer l’achat d’un SUV, outre le fait qu’il n’est pas judicieux d’emprunter pour financer un passif (quelque chose qui va nous coûter de l’argent), il semble logique de considérer qu’il ne s’agit pas de finance durable.
Pour aller plus loin sur ces questions, vous pouvez écouter l’épisode du podcast Chaleur humaine consacré à la finance durable :
Merci beaucoup pour votre article très complet et instructif sur la finance durable !
Quelle est votre opinion sur l’article « Counterproductive Sustainable Investing: The Impact Elasticity of Brown and Green Firms » publié récemment par le professeur de finance Kelly Shue à Yale School of Management et le professeur Samuel M. Hartzmark à Boston College (lien : http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.4359282) ? Leur papier affirme montrer que la réduction du coût du capital pour les entreprises déjà vertueuses pour l’environnement (dénommées « vertes » dans l’article) n’améliore que faiblement leur impact sur l’environnement alors que l’augmentation du coût du capital pour les entreprises polluantes (dénommées « marrons » dans l’article ») accroît encore davantage leur impact négatif sur l’environnement, la somme des deux menant à un impact total négatif sur l’environnement (l’article va jusqu’à dire que la pratique d’investir plutôt dans les entreprises vertes que dans les entreprises marrons est contreproductif pour la lutte contre le changement climatique). A votre avis, l’article touche-t-il du doigt un vrai sujet ou bien ses conclusions ne sont en fait pas vraiment fiables ?
Merci pour votre retour et pour le partage de cet article.
Sincèrement, la question n’est pas simple. La mesure proposée par les auteurs (élasticité d’impact) est sûrement pertinente à étudier.
Qu’il y ait des investissements verts qui soient contre-productifs, c’est sans doute le cas, ils semblent le démontrer.
Si le coût du capital augmente pour les entreprises « brunes » et qu’elles polluent davantage, cela peut conduire à une baisse de capital s’il s’agit d’entreprises cotées, du fait d’une mauvaise presse. Et donc potentiellement à davantage d’impact négatif. Si elles ont moins de capital, elles pourront développer moins de projets polluants (même si ceux qu’elles développent pollueront plus). En clair, la pollution par unité de production augmente, mais la pollution totale pourrait diminuer si la baisse de production est significative. Donc est-ce que l’impact global sera davantage négatif ? C’est la question que je me pose.
De toute manière, il semble logique qu’il y ait aujourd’hui des reports d’investissement des entreprises « brunes » vers les « vertes », car nombreux sont ceux qui souhaitent avoir un portefeuille plus « vert ». La fuite des capitaux est aussi une incitation au changement pour les entreprises les plus « brunes », et une récompense pour les entreprises les plus « vertes » parmi les « brunes ». Il est aussi difficile de prendre en compte l’évolution des contraintes environnementales et de la réglementation, qui peuvent impacter les décisions des entreprises. Bref, il y a beaucoup d’éléments à prendre en compte.
Donc pour vous répondre, oui c’est probablement un vrai sujet, mais en tenant compte de la complexité du monde de l’investissement, de ce qui peut être étudié ou non, quantifié ou non et de la multitude des investissements « verts » existants, je ne pense pas que l’investissement durable soit globalement contre-productif. Je n’ai évidemment pas étudié la question en profondeur, mais je tablerai donc plus sur un phénomène localisé plutôt que global.
Maintenant, il est clair qu’un investissement dans un projet très ciblé sur la lutte contre le changement climatique aura bien plus d’impact que de simplement investir dans des entreprises ESG.