Peut-on atteindre la liberté financière grâce à la bourse ? Voilà une grande question, assez large pour qu’il soit difficile d’y répondre facilement et précisément. Intuitivement, on pourrait répondre que cela dépend.
En effet, ça dépend de beaucoup de choses: tant du concept de liberté, qui est une notion philosophique par excellence, que de la façon dont on va se servir de la bourse. Mais cela dépend aussi de pour qui on se pose la question.
Essayons d’y voir un peu plus clair en tentant d’apporter une réponse précise à cette question.
La liberté financière, d’accord, mais quelle liberté ?
Tout d’abord, il faut se mettre d’accord sur la signification de l’expression « liberté financière ». Qu’est-ce que la liberté ? Dans son sens général, tout le monde comprend ce mot. C’est la raison pour laquelle beaucoup de personnes recherchent plus de liberté dans leur vie. Mais concernant la liberté financière au sens de l’argent, plusieurs définitions sont possibles.
Dans son livre L’argent : L’art de le maîtriser, Tony Robbins définit plusieurs niveaux de liberté, notamment:
- La sécurité financière: toutes les dépenses obligatoires sont couvertes (logement, nourriture…), il n’est plus nécessaire de travailler pour vivre au sens strict.
- L’indépendance financière: cette fois, il n’est plus nécessaire de travailler pour assurer son train de vie actuel, ce qui inclut les dépenses obligatoires, mais aussi les loisirs, vacances et cadeaux. Il y a indépendance par rapport au fait de ne plus être obligé de travailler.
- La liberté financière: un concept que l’on retrouve souvent. La liberté financière couvre l’indépendance financière, et rajoute la faculté de réaliser un grand rêve ou projet de vie (qui a souvent un prix important). En plus de couvrir les besoins matériels et les petits plaisirs de la vie, ce palier de liberté ajoute la possibilité de se réaliser et de s’épanouir en réalisant un rêve. Il est question à ce stade de réalisation de soi.
- La liberté financière absolue: C’est le palier où tout est possible. Réaliser tous ses rêves les plus fous, mais aussi ceux de ses proches, et avoir la possibilité de redonner au maximum en contribuant à des grandes causes philanthropiques. Ce stade permet un niveau de réalisation de soi maximal.
Laquelle de ces définitions choisir ?
D’un côté, la sécurité financière n’est pas tout à fait la liberté: je doute qu’on puisse se sentir vraiment libre en ayant juste de quoi vivre, mais rien de plus. De l’autre, la liberté financière et la liberté financière absolue incluent un ou des rêves importants, qui pourront varier selon les personnes. Cela rend le concept difficilement chiffrable (et il faut qu’il soit chiffrable pour pouvoir calculer si la bourse permet d’atteindre la liberté financière).
Reste l’indépendance financière: avec les besoins vitaux et les loisirs couverts (notre niveau de vie actuel en quelque sorte), ce niveau de liberté est au moins acceptable, sinon intéressant. Et notre niveau de vie actuel est bien chiffrable puisque c’est celui que nous vivons au quotidien.
Nous parlerons donc désormais de la liberté au sens de l’indépendance financière. Maintenant que nous sommes d’accord sur les définitions, nous allons pouvoir nous attaquer à la grande question de cet article.
Pour qui se pose-t-on la question ?
« La bourse permet-elle d’atteindre la liberté financière ? » est une question généraliste dans le sens où chacun de nous a un niveau de vie différent. La réponse sera différente selon le niveau de revenu et le train de vie considéré.
Il est donc possible de prendre le cas d’une personne réelle dont les revenus (et donc le niveau de vie approximatif) sont connus, ou bien de considérer le cas du citoyen moyen.
Je propose de prendre notre bon vieux citoyen moyen: ce cher Jean Dupont (vous voyez, son nom vous dit quelque chose !). Pourquoi ce choix ? Parce que si la réponse à la question que l’on se pose est positive pour un citoyen moyen, elle le sera aussi pour un très grand nombre de personnes.
La question à laquelle tente de répondre cet article devient donc: « Est-ce que la bourse peut permettre à Jean Dupont d’atteindre la liberté financière ? ».
Jean Dupont et la quête de la liberté financière
Là, cela devient beaucoup plus simple d’y répondre.
Nous savons précisément ce qu’est la liberté financière (au sens de l’indépendance financière), et l’INSEE sait tout sur Mr Jean Dupont !
Sachant que Jean Dupont est un citoyen moyen, il a un salaire… médian (plutôt que moyen, car le salaire médian représente mieux les ressources d’une personne moyenne que le salaire moyen, qui est tiré vers le haut par quelques salaires exorbitants de PDG ou autres sportifs professionnels).
Le salaire médian français était en 2018 de 1 710 € /mois.
On considère que Jean a une bonne gestion de son argent, qu’il n’a pas de dettes, et qu’il investit 10% de ses revenus en bourse, dans le CAC40 (il n’y connaît rien en sélection d’actions et il se dit à juste titre qu’il ferait mieux d’investir dans le marché en suivant l’indice national).
Jean investit donc 170 € /mois (on va arrondir) pour son indépendance financière. Son niveau de vie est basé sur les 90% restants de ses revenus. Il lui reste donc 1540 € /mois pour assurer son train de vie.
Partons du principe que Jean n’a pas d’économies, qu’il commence seulement à investir. Pour être indépendant financièrement, il doit donc accumuler un capital qui générera en moyenne une somme correspondant à son niveau de vie sur un an.
Il y a donc trois variables à considérer: le rendement du CAC40, l’inflation (on veut tous que Jean puisse conserver son niveau de vie dans le temps, n’est-ce pas ?) et l’augmentation des salaires.
Les variables
Les rendements boursiers
Concernant le CAC40, il est bien sûr impossible de prévoir son rendement à l’avance. La meilleure chose à faire est donc de considérer les rendements passés pour se faire une idée des rendements futurs espérés.
Le CAC40 a été créé fin 1987, nous avons donc plus de 30 ans de données accumulées, ce qui est suffisamment représentatif pour pouvoir calculer un rendement moyen sur le long terme. On va considérer que Jean réinvesti ses dividendes dans le capital, puisqu’il souhaite atteindre sa liberté financière le plus vite possible grâce à son investissement en bourse.
Nous pouvons donc calculer le rendement moyen du CAC40 avec dividendes réinvestit depuis 1987, ce qui donne: 8,81%/an.
Pour investir dans le CAC40, Jean a trouvé un tracker dont les frais sont peu élevés (0,25% par an), et qui a l’avantage de réinvestir automatiquement les dividendes dans le capital.
Son rendement espéré est maintenant de 8,56 % /an tous frais inclus. Comme Jean est intelligent, il a logé son tracker dans une assurance vie, ce qui lui permet de ne pas être imposé sur les plus-values pendant la phase de constitution de son capital.
En revanche, lorsqu’il aura accumulé une somme suffisante pour couvrir son train de vie, il faudra que cette somme tienne compte de l’impôt qui sera prélevé sur ses retraits.
Le salaire de Jean et l’inflation
Jean est toujours dans la moyenne. Son salaire ne fait pas exception et augmente progressivement avec le temps et la médiane des salaires (soit le 5ème décile).
Le salaire annuel médian en France était en 1984 de 67 660 francs, soit 860 € /mois. Depuis 1984, le salaire médian a donc progressé de 1,98% /an en moyenne pour atteindre aujourd’hui 1 710 €.
Concernant l’inflation, en se basant sur les moyennes historiques et l’inflation ajustée de la dernière année, on constate une moyenne de 1,83% /an depuis 1984.
Bien entendu, l’inflation était plus forte dans les années 80 qu’aujourd’hui, et rien ne dit que les salaires augmenteront plus vite que l’inflation dans les prochaines années. Cependant, les chiffres historiques donnent une approximation acceptable de ce qui pourrait se passer dans les prochaines années.
On supposera donc que l’inflation continuera d’être légèrement inférieure ou égale aux augmentations annuelles du salaire de Jean. Si l’inflation est couverte par la hausse des salaires, cela permettra de ne pas les prendre en compte dans le calcul puisqu’elles s’annulent entre elles. Le calcul sera ainsi rendu plus simple.
Avec une inflation et une hausse des salaires à 0%, Jean (dont le niveau de vie est de 1540 € /mois), devra générer 18 480 € annuels hors imposition pour assurer son indépendance financière.
Le capital dont Jean a besoin
Un capital de 250 000 € ayant un rendement de 8% (prenons 0,5% de marge sur les rendements boursiers nets de frais, pour les mauvaises années) génère 20 000 € par an (avec ici aussi une marge par rapport aux 18.480€ nécessaires).
C’est vraiment moins que le montant nécessaire auquel on pourrait s’attendre, non ? Jean n’a donc pas besoin de devenir millionnaire, loin de là, pour assurer son train de vie avec des revenus boursiers.
La question subsidiaire est la suivante: combien de temps faudra-t-il à Jean Dupont pour accumuler un capital de 250 000 € ? Car de cette réponse dépendra la réponse à la grande question de l’article.
Voilà la réponse donnée par mon calculateur d’épargne investie préféré : Il lui faudra 22 ans pour atteindre 50% de son objectif (125 000 €), mais seulement 8 ans de plus pour combler les 50% restants et atteindre 250 000 € (ça, c’est la magie des intérêts composés !). Il n’aura épargné que 61 200 € dans le processus, mais ses intérêts auront produit un total de 190 000 €. Pas mal !
Petit aparté: Je n’ai pu m’empêcher de me poser la question (idiote) de savoir combien d’années seront nécessaires à Jean s’il souhaite atteindre l’indépendance financière avec son Livret A (en supposant que celui-ci ne soit pas plafonné et au taux actuel de 0,75%/an). À votre avis ? Réponse: 88 ans. Un plan parfait pour ses petits-enfants, n’est-ce pas ?
Si Jean met en place son plan alors qu’il a 25 ans, il pourra jouir de son indépendance financière 30 ans plus tard, à 55 ans. Chaque nouvelle année travaillée ne sera ensuite qu’un bonus pour accroître le rendement annuel de son capital.
Oui mais, ce n’est pas aussi simple !
Si la théorie et les calculs se tiennent sur le papier, il y a deux bémols qu’il faut considérer: la séquence des rendements et l’imposition sur les plus-values.
La séquence des rendements
L’exemple de Jean suppose que la bourse génère des revenus connus à l’avance et réguliers, ce qui n’est bien sûr pas le cas.
Si Jean n’a pas de chance, et que les deux dernières années de capitalisation avant son départ prévu à la retraite ressemblent aux années 2001 et 2002, Jean pourrait perdre 50% de son capital en deux ans (soit près de 125 000 €, aïe !). Cela serait catastrophique pour lui et repousserait l’atteinte de ses objectifs de plusieurs années (voir plus si dans la panique il décide de retirer son investissement, au pire moment donc).
La majorité des investisseurs en bourse revendent toujours au plus bas, dans la panique (cela a trait à la psychologie des investisseurs), et se privent ainsi des marchés haussiers qui suivent les baisses. C’est le risque pour Jean.
Il est possible de s’en prémunir en optant pour un portefeuille diversifié qui ne connaîtra jamais une telle chute (d’autant plus si l’on s’approche de son départ à la retraite, car la même chute lors des deux premières années de capitalisation n’aurait quasiment eu aucun impact émotionnel sur Jean).
L’imposition sur les plus-values
Si on prend en compte l’imposition sur les plus-values à chaque fois que Jean procédera à un retrait (soit tous les ans après avoir atteint le capital nécessaire), il est très probable que Jean ait en réalité besoin d’un capital un peu plus élevé.
En effet, Jean a fait marcher à fond la machine des intérêts composés et a engrangé de fortes plus-values en 30 ans de capitalisation. Il sera imposé sur leur montant (soit le capital obtenu moins l’épargne investie), au prorata des années passées à construire son capital.
Au niveau d’imposition actuelle, si Jean est en couple, il bénéficiera d’un abattement de 9 200 € sur le PFU (avant de bénéficier de l’imposition réduite à 7,5%). À cela, il faut ajouter 17,2% au titre des prélèvements sociaux.
Par ailleurs, le niveau d’imposition dans 30 ans sera probablement différent de ce qu’il est aujourd’hui, ce qui pourra faire varier le nombre d’années nécessaires à Jean pour atteindre son objectif.
Conclusion
Que pensez-vous de l’histoire de Jean ? La liberté financière vous parait-elle plus proche et accessible que prévue avec la bourse ?
Il y a certes beaucoup de variables qui peuvent faire s’éloigner ou se rapprocher la liberté pour Jean (y compris l’idée qu’il se fait lui-même de la liberté financière, mais aussi son taux d’épargne et sa stratégie d’investissement en bourse, que nous avons voulu simple ici). Son histoire a d’ailleurs été standardisée au maximum pour plus de simplicité, et la diversité des situations et des aspirations de chacun donnera autant de résultats différents.
Par ailleurs, et comme je l’ai déjà souligné, il n’est pas recommandé d’investir toutes ses économies dans un indice composé uniquement d’actions (sauf si vous souhaitez mourir d’une crise cardiaque en regardant vos investissements lors de la prochaine crise !), car elles sont très volatiles.
Néanmoins, Jean et la capitalisation de ses économies révèlent une chose: la bourse est et reste un outil de premier choix pour créer un capital sur le long terme.
Un capital dont chacun pourra se servir pour poursuivre ses objectifs de liberté.
Cet article participe à l’événement “Carnaval d’articles sur la Liberté” du blog Des Finances Pétillantes.