
Ces dernières années, j’ai croisé un grand nombre d’investisseurs – jeunes ou retraités, indépendants ou salariés, débutants ou expérimentés, sereins ou anxieux, avec un petit ou un gros capital à investir – chacun avec sa propre vision de l’investissement, souvent influencée par des discours ou des biais personnels.
Je suis toujours surpris de voir combien d’investisseurs accordent plus de crédit à quelques chaînes Youtube, qui promeuvent des scénarios absurdes ou improbables, plutôt qu’aux fondamentaux de l’investissement, qui ont fait leurs preuves depuis des décennies.
L’esprit humain, conçu pour la survie, est programmé pour repérer tous les dangers potentiels. Cela pourrait expliquer pourquoi certains écoutent avec attention un Youtubeur annonçant la faillite imminente de la France, la chute de l’Euro ou la prochaine guerre mondiale.
L’objectif des médias au sens large – des grands journaux aux influenceurs – est de faire de l’audience. Or, la peur est, de loin, le meilleur levier pour capter l’attention.
Même chez les investisseurs les plus rationnels, certains biais demeurent bien ancrés. L’un des plus fréquents est le biais de récence : croire que ce qui a bien marché récemment continuera forcément.
Notre cerveau est conçu pour réagir aux événements présents. Adopter une pensée de long terme demande un effort conscient, qui n’est pas naturel. C’est pourquoi la majorité des investisseurs sous-performent les indices : ils cherchent le meilleur moment pour entrer ou sortir du marché, au lieu de construire une stratégie optimisée pour le long terme, qui fonctionnera vraiment.
L’investissement est une histoire de cycles. Comme le disait John Bogle :
Les gagnants d’hier seront les perdants de demain.
John Bogle
Autrement dit, tout ce qui surperforme finira tôt ou tard par revenir dans la moyenne, et inversement.
Ray Dalio résume aussi parfaitement ce biais récurrent chez les investisseurs :
La plus grande erreur que font les investisseurs est de croire que ce qui s’est passé récemment va probablement continuer.
Ray Dalio
Les graphiques qui suivent ont pour but de remettre en question quelques idées reçues : ils pourraient même changer votre vision de l’investissement.
Investir dans les small caps ne sert plus à rien

La très forte domination des large caps sur les small caps durant ces dernières années, comme le montre la performance relative du Russell 2000 face au S&P 500, a progressivement fait disparaître les small caps du portefeuille de la plupart des investisseurs.
Nous entendons des discours sur le fait que l’économie a changé, que les plus grosses entreprises sont vouées à dominer le marché et à racheter les plus petites, qu’elles raflent tout avec leurs moyens énormes.
Néanmoins, les 15 dernières années ne sont probablement qu‘un cycle propice aux grandes capitalisations. Inversement, les années 2000-2015 ont été propices aux petites capitalisations, alors que le S&P 500 s’était montré incapable de produire la moindre performance durant 10 ans (2000-2010).
La dernière fois que les grandes capitalisations ont autant dominé les small caps, c’était à la fin des années 90, durant la bulle Internet.
Les graphiques qui suivent permettront de constater qu’il y avait alors quelques similitudes avec la période actuelle (notamment la forte prédominance des actions technologiques et américaines).
Par la suite, la remontée des petites capitalisations fut assez spectaculaire durant la décennie 2000 : le cycle s’était inversé.
L’avenir appartient aux 7 magnifiques

C’est probablement l’évolution récente la plus rapide : en l’espace de 2 ans, le poids des 7 magnifiques (anciennement GAFAM) dans le S&P 500 est passé de 20 % à 33 % (soit une hausse de 65 %).
On pourrait d’ailleurs parler des 8 magnifiques maintenant, avec l’explosion récente d’Oracle, qui a propulsé Larry Ellison en position d’homme le plus riche du monde.
Oracle succède ainsi à Nvidia, qui avait elle-même succédé à Tesla dans la liste de ces nouveaux géants technologiques.
En réalité, la domination des 7 magnifiques n’a pas commencé il y a 2 ans. Si on élargit la liste au top 10 des plus grosses capitalisations américaines, leur pondération dans l’indice est en hausse constante : de moins de 20 % en 2017, elles représentent désormais plus de 40 % de l’indice.

Oui, 10 entreprises représentent 40 % de l’indice américain, qui comporte 505 entreprises. Même au plus fort de la bulle Internet, cette concentration avait à peine dépassé les 25 %.
L’énorme concentration actuelle est-elle justifiée ? La part des bénéfices du S&P 500 captée par ce top 10 a elle aussi considérablement augmenté, passant de 15 % à plus de 30 % en moins de 10 ans.
On constate cependant que leur poids dans l’indice reste supérieur, en proportion, aux bénéfices que ces entreprises génèrent, ce qui est le signe d’une survalorisation.
Le dernier « pic » de concentration, en 2000, avait alors été suivi par un lent repli du top 10 sur la période 2000-2015 (période favorable aux petites capitalisations).
Les actions américaines sont vouées à dominer le reste du monde

C’est peut-être la marotte qui revient le plus souvent. Qui n’a pas son ETF S&P 500 en portefeuille ? Accompagné d’un MSCI World pour ceux qui aiment les doublons ?
Il est un fait extrêmement peu connu et discuté, et pourtant parfaitement logique : la performance des actions américaines est impactée par l’évolution du taux de change du Dollar par rapport à notre devise de référence, qu’il s’agisse de l’Euro, du Franc Suisse ou du Dollar Canadien.
Lorsqu’on compare la performance du MSCI USA au MSCI EAFE (Europe, Australasia and Far East), qui représente les pays développés à l’exclusion de l’Amérique du nord, on se rend compte que l’évolution du Dollar est déterminante.
À chaque fois que le Dollar s’est renforcé par rapport à un panier représentatif des principales devises (1978-1985, 1992-2002, 2011-2022), le MSCI USA a surperformé le MSCI EAFE.
Inversement, lorsque le Dollar a connu une période de dévaluation relative par rapport aux autres devises (1971-1978, 1985-1992, 2002-2011), le MSCI USA a sous-performé le MSCI EAFE.
Comme nous pouvons le voir, nous sommes peut-être aujourd’hui à la fin d’une phase de renforcement du Dollar.
J’ai déjà consacré un article entier sur la performance des actions américaines. Historiquement, aucune zone géographique n’a dominé constamment le reste du monde.
Les cycles de l’investissement se traduisent aussi par une rotation des zones géographiques, qui deviennent chacune, à leur tour, la plus performante pendant une période donnée.
Le niveau de valorisation des actions américaines n’est pas un problème
Comme la confiance dans les actions américaines semble particulièrement vivace chez certains investisseurs, voici un autre angle d’approche.

Le ratio cours / bénéfices anticipés du S&P 500 est actuellement 34 % plus élevé que sa moyenne historique sur les 35 dernières années (22,3 vs 16,6).
Les ratios CAPE de Shiller et prix/valeur comptable dépassent de 46 % et 70 % leurs moyennes historiques.
À ce stade, il n’est pas déraisonnable de penser que les actions américaines sont très chères.
Le graphique de droite permet de constater qu’il y a clairement un excès de valorisation sur les 10 principaux titres du S&P 500. On peut relier cette valorisation excessive au second graphique qui montre la hausse du poids des 7 magnifiques dans l’indice S&P 500.
La dernière fois que les plus grosses entreprises américaines se sont autant écartées de leur moyenne historique de valorisation, c’était lors de la bulle Internet. Et comme toujours, lorsque le marché produit des excès, un retour à la moyenne finit par s’opérer.
Voici ci-dessous un graphique tout aussi intéressant, qui mesure la performance réelle observée sur 1 an ou sur 10 ans lorsque le S&P 500 atteint les niveaux de valorisations actuels.

À court terme (sur 1 an), les performances boursières sont toujours aléatoires. Même lorsque les actions sont déjà très chères, il est tout à fait possible de les voir obtenir de très belles performances.
En revanche, sur le long terme (10 ans), des niveaux de valorisations déjà élevés impacteront forcément la performance. Aux niveaux actuels, la performance observée des actions américaines est en moyenne de 0 % sur 10 ans.
Si, à ce stade, vous pensez toujours que votre portefeuille devrait être composé d’un unique ETF S&P 500, je ne peux plus rien pour vous !
Le secteur de la technologie est voué à dominer

Le secteur de la tech est probablement, pour la majorité des investisseurs, le plus enthousiasmant : IA, voitures autonomes, drones, blockchain, etc.
Si les transformations technologiques de la société font que ce secteur restera peut-être le plus capitalisé, tous les excès finissent un jour par être corrigés.
Lors de la bulle Internet, la pondération du secteur technologique aux Etats-Unis est passée de 10 % à près de 35 % en 4 ans (1996-2000). La chute brutale qui s’en était suivie avait permis de purger les excès.
Depuis 2010, la part du secteur technologique croît de manière plus régulière. Nous savons aussi que les géants technologiques d’aujourd’hui engrangent bien plus de bénéfices que les coquilles vides de la bulle Internet.
Il est toutefois difficile de savoir si la proportion d’actions technologiques peut peser durablement plus de 30 % dans un marché. Ce que l’on sait, c’est que la dernière fois que ce secteur a écrasé tout le reste, cette domination n’a pas duré très longtemps.
Les actions de croissance sont la nouvelle norme

La transition est parfaite avec la section précédente, puisque les actions technologiques sont avant tout des actions dites de « croissance », c’est-à-dire des actions d’entreprises qui connaissent une forte croissance de leur chiffre d’affaires et de leurs marges bénéficiaires.
Ce sont les actions les plus en vogue du moment. Inutile de les citer, tout le monde connaît les principales. Ces actions sont souvent très chères.
À l’opposé se trouvent les actions dites de « valeur », qui représentent des actions dont la valorisation par rapport à leurs bénéfices est plus mesurée. Elles sont à la fois moins connues, moins chères, et aussi moins susceptibles de former une bulle.
Pour en savoir plus sur ces deux catégories d’actions : Valeur vs Croissance : deux styles d’investissement.
Historiquement, les actions de valeur sont plus performantes que les actions de croissance. Dans l’investissement, l’une des écoles de pensée les plus répandues est celle du « value investing » : initiée par Benjamin Graham, puis popularisée par Warren Buffett, son élève, elle consiste à se focaliser sur les actions dont chaque Dollar (ou Euro) de bénéfice peut s’acheter à un prix raisonnable.
La bulle Internet avait vu l’explosion des actions de croissance, puis leur effondrement durant le cycle suivant, pro-valeur (2000-2008).
Nous sommes aujourd’hui à nouveau dans un cycle pro-croissance, depuis la crise de 2008. Ce cycle est particulièrement long, si bien que les actions de croissance sont revenues à un niveau de surperformance relative par rapport aux actions de valeur identique à celui observé au plus haut de la bulle Internet.
Peut-être que ce cycle pro-croissance perdurera encore pendant quelque temps, mais comme tout cycle, il prendra également fin un jour.
Investir dans les pays émergents n’est pas d’un grand intérêt

Certains disent qu’il est inutile d’investir dans les actions des pays émergents, car les plus grandes entreprises des pays développés commercialisent aussi leurs produits/services dans les pays émergents. Par conséquent, elles sont déjà en capacité de capter la croissance des économies émergentes. Il serait donc inutile de cibler les entreprises locales.
Cela semble faire sens, sauf que… Le découplage progressif de l’économie chinoise avec celle des Etats-Unis et d’une partie du monde occidental est un argument de poids pour continuer à s’intéresser à ces actions.
Il n’est d’ailleurs pas besoin de parler de découplage pour observer qu’il existe toujours une décorrélation nette entre actions chinoises et américaines, et plus largement entre marchés émergents et développés.
La décennie 2000, qui s’est révélée catastrophique pour les actions américaines, a au contraire été prolifique pour les actions émergentes.
Inversement, sur les 15 dernières années (2010-2025), les marchés émergents ont régulièrement sous-performé le marché américain.
Ici aussi, nous sommes dans un cycle long qui nous amène à un niveau proche des extrêmes observés à la fin des années 90. Le prochain cycle pourrait donc être à nouveau favorable aux marchés émergents.
J’investis toujours au bon moment car je suis rationnel

Ce graphique est particulièrement intéressant, parce qu’il montre que les investisseurs investissent toujours majoritairement en fonction de la direction du marché :
- Lorsque le S&P 500 atteint des sommets (1995-2000, 2003-2007, 2013-2018, 2021-2022), on observe des flux positifs importants en direction des fonds et ETF américains.
- Lorsque le S&P 500 est au plus bas, on observe des flux négatifs (2002-2003, 2007-2008, 2011, 2020) : les investisseurs sortent du marché.
Autrement dit, la majorité des investisseurs placent leur argent dans les actions lorsque les cours sont déjà hauts, et les revendent lorsque les cours sont bas. C’est exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire pour avoir un portefeuille performant : à savoir, acheter bas et revendre haut.
Ayez peur quand les autres sont avides, et soyez avides seulement quand les autres ont peur.
Warren Buffett
Ce graphique illustre le comportement grégaire (effet moutonnier) et le biais de récence (ex. : acheter après une hausse) observé chez l’ensemble des investisseurs : « le marché monte, j’y vais pour ne rien louper ; il plonge, je sors pour éviter les pertes ».
Certains petits malins pourraient alors se dire : « Ok, mais moi je ne suis pas influençable, je sais rester rationnel, donc ce raisonnement ne s’applique pas à moi. Je ne suis pas un mouton ».
Se croire meilleur que la moyenne (« je suis plus intelligent », « je conduis mieux », etc) est un autre biais humain récurrent appelé Better-than-average-effect. Il a été démontré et documenté dans une méta-analyse qui reprend de nombreuses études, réalisées dans de nombreux domaines.
Cet effet s’applique aussi à l’investissement. D’après une enquête reprise dans un rapport de Morgan Stanley sur les biais d’investissement, 74 % des gérants de fonds se considéraient « au-dessus de la moyenne », les 26 % restants se disaient « dans la moyenne », et personne ne s’estimait en dessous — ce qui est bien sûr une impossibilité statistique.
En tant qu’investisseurs, nous avons ainsi tendance à surestimer nos capacités. Il est donc inutile d’anticiper le marché, de chercher à investir au bon moment. Si vous pensez que vous pouvez y arriver parce que vous êtes meilleur que les autres, sachez que les autres pensent aussi qu’ils sont meilleurs que vous !
Alors, que faut-il faire ?
Faut-il investir à contre-courant de ces graphiques, parier sur une inversion des cycles, fuir les Etats-Unis, les grandes capitalisations et le secteur de la tech ?
Eh bien pas du tout ! Ou en tout cas, pas uniquement.
Ces graphiques montrent clairement l’existence de cycles, mais ils ne peuvent prévoir le futur. Un cycle déjà bien entamé peut très bien durer plus longtemps qu’on ne l’imagine.
Le marché peut rester irrationnel plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable.
John Maynard Keynes
Chercher à anticiper le retournement des cycles reviendrait à jouer au spéculateur en essayant de « timer le marché ».
L’approche la plus raisonnable consiste à prendre du recul : observer les tendances sans trop s’y exposer, en acceptant d’investir aussi dans ce qui semble ne pas très bien fonctionner actuellement. C’est souvent là que se cachent les plus belles opportunités.
Rappelez-vous, il est bien plus facile de réaliser des plus-values en se positionnant sur un actif qui semble délaissé, plutôt que sur un actif dont la valeur a déjà doublé en trois ans, ou dans un secteur qui a déjà largement surperformé le marché.
En matière d’investissement, la sagesse rapporte plus de fruits sur le long terme que de tenter de prédire l’avenir en étant « plus intelligent » que les autres. Ces graphiques ont-ils fait évoluer votre vision de l’investissement ?



