Valeur vs Croissance : deux styles d’investissement distincts

Croissance vs Valeur : les styles d'investissement

La valeur et la croissance (value et growth) sont des styles d’investissement que tout oppose.

Pouvoir comprendre et reconnaître ces deux styles permet de mieux appréhender ce qui fait le prix d’une action, son évaluation par le marché, ainsi que son potentiel de hausse à long terme.

Les différences entre l’investissement croissance et valeur

Définitions

Si on se réfère à la définition d’Investopedia :

Les actions de croissance sont des sociétés dont on considère qu’elles ont le potentiel pour surpasser le marché global à long terme en raison de leur potentiel futur.

Investopedia

L’investissement dans la croissance consiste donc à investir dans des sociétés qui gagnent de nouveaux clients grâce à leurs produits phares, et qui génèrent des bénéfices croissants.

Voici maintenant la définition des actions de valeur :

Les actions de valeur sont classées comme des sociétés qui se négocient actuellement en dessous de leur valeur réelle et qui fourniront donc un rendement supérieur.

Investopedia

L’investissement dans la valeur consiste quant à lui à acheter des actions, qui sont bon marché, quelle qu’en soit la raison. Puis, il suffit de les détenir jusqu’à ce que le marché se rende compte que leur prix est trop faible, et qu’il ne les réévalue à la hausse.

La philosophie d’investissement est donc totalement différente dans chacun des cas :

  • Investissement dans la croissance : investir dans les entreprises ayant la croissance la plus forte. Logiquement, avec une croissance supérieure à la moyenne, elles devraient surpasser la croissance du marché boursier à long terme. Plus le potentiel de développement de l’entreprise est fort (capacité à gagner des parts de marché dans des secteurs en croissance, forte augmentation des bénéfices), plus leur cours d’action a un potentiel de hausse élevé.
  • Investissement dans la valeur : investir dans des entreprises sous-évaluées par le marché. Comme elles sont moins chères que les autres, leur potentiel de hausse est donc supérieur à celui du marché. Plus la différence entre leur prix et leur valeur réelle est grande, plus le potentiel de performance à long terme est élevé. Il s’agit donc de trouver des titres ayant le plus grand écart possible entre leur valeur réelle et leur cours d’action, puis d’attendre tranquillement que le marché ne les réévalue correctement pour réaliser un bénéfice.

Avantages et inconvénients

Ces deux styles d’investissement devraient donc permettre de battre le marché. Mais ce n’est pas aussi simple, et les investisseurs font face un dilemme :

  • Les actions de croissances sont souvent très chères, car le potentiel de croissance de l’entreprise est déjà pris en compte dans le prix de l’action.
  • Les actions de valeur sont souvent de moins bonne qualité, elles suscitent donc moins d’intérêt, ce qui explique leur prix peu élevé.

Généralement, ces arguments sont utilisés l’un contre l’autre par les tenants de ces deux styles d’investissement. Le tableau suivant récapitule les avantages et inconvénients de chaque style.

StyleCroissanceValeur
AvantagesDes entreprises ayant un potentiel de croissance supérieur à la moyenneDes entreprises sous-évaluées avec un potentiel de hausse important
InconvénientsLe cours de l’action de ces entreprises est déjà élevéLes perspectives de croissance de ces entreprises sont plus faibles

Composition et caractéristiques

Concrètement, à quels types d’entreprises correspondent l’investissement dans la croissance et l’investissement dans la valeur ?

Pour avoir une bonne représentation des différences entre les styles « croissance » et « valeur » à l’échelle mondiale, on peut s’appuyer sur la composition de l’indice MSCI ACWI (All Country World Index), qui recense 3 000 entreprises dans les principaux pays développés et émergents.

Cet indice comprend des versions « croissance » et « valeur » : MSCI ACWI Growth et MSCI ACWI Value.

On remarque que les entreprises de croissance sont dominées par le secteur de la technologie de l’information, qui représente 36 % des entreprises de croissance. On retrouve ensuite les secteurs de la consommation discrétionnaire et de la communication.

Composition secteurs MSCI ACWI Growth

Sans surprises, les entreprises considérées comme appartenant au style « croissance » sont :

  • Les géants américains de la tech : Apple, Microsoft, Google, Nvidia, Visa…
  • Des entreprises technologiques d’autres pays : Taiwan Semiconductor, ASML (Pays-Bas), Samsung (Corée du Sud), Tencent (Chine)…
  • Des entreprises phares du secteur de la santé : Roche (Suisse), Novo Nordisk (Danemark)…
  • Des géants de la consommation de base comme Nestlé, et de la consommation discrétionnaire (les produits non essentiels) comme Tesla, Amazon, LVMH (France), Sony (Japon)…

Les entreprises de valeur ont de leur côté une répartition sectorielle plus équilibrée, dominée par la finance (en tête mais avec un poids de seulement 22 %), la santé et l’industrie.

Composition secteurs MSCI ACWI Value

On retrouve ainsi, parmi les principales entreprises « valeur » :

  • Des entreprises financières : JP Morgan, Bank of America (États-Unis)…
  • Des entreprises du secteur de la santé, ce dernier étant assez bien réparti entre les styles « growth » et « value » : UnitedHealth Group, Johnson & Johnson (États-Unis)…
  • Les géants de l’énergie : Exxon Mobil, Chevron (États-Unis), Shell (Royaume-Uni), Total (France)…
  • La consommation discrétionnaire : Toyota (Japon), Alibaba (Chine), Home Depot (États-Unis)…
  • Des conglomérats multisectoriels, comme Berkshire Hathaway, dont le style est orienté par la façon d’investir du dirigeant (Warren Buffett).

En ce qui concerne les fondamentaux, on observe des écarts importants entre les deux styles :

  • Les entreprises de valeur distribuent en moyenne un dividende au moins trois fois plus élevé que les entreprises de croissance.
  • Les entreprises de croissance sont deux fois plus chères que les entreprises de valeur, à bénéfice égal (Price/Earnings ratio).
  • L’écart entre la valeur comptable (Price / Book Value) et la valeur marchande des entreprises de croissance est trois fois supérieur à celle des entreprises de valeur.
Ratios fondamentaux des indices MSCI ACWI Growth et Value - croissance vs valeur
Source : www.msci.com

Les différences de valorisation s’expliquent en partie par le fait que les investisseurs sont naturellement attirés par les entreprises de croissance ayant des produits plutôt « cool », comme Apple, Tesla, Samsung, ou dont la croissance a explosé avec la relance de la consommation mondiale et l’impression monétaire (Taiwan Semiconductor, Nvidia, LVMH, Visa…).

Au contraire, les entreprises orientées valeur sont moins sexy et à la mode (qui rêve d’avoir Exxon, Home Depot ou UnitedHealth Group en portefeuille ?), ou ont connu des hausses du cours de leurs actions plus modérées, ce qui leur permet de demeurer « bon marché » (JP Morgan, Bank of America) ; ou encore qui ont carrément subi une forte baisse (Alibaba).

Reste à savoir si la valeur comptable est toujours un critère pertinent pour mesurer la valeur réelle d’une entreprise, sachant que de plus en plus d’entreprises possèdent des actifs qui ne sont pas tangibles (image de marque, propriété intellectuelle, présence en ligne).

Croissance vs Valeur : quel est le meilleur ?

Il est difficile de répondre à cette question, car elle suppose au préalable de pouvoir comparer deux styles d’investissement bien identifiés et persistants. Or, il y a plusieurs façons d’investir dans la valeur ou la croissance.

De plus, la société évolue : les secteurs économiques qui dominent actuellement ne sont pas les mêmes qu’il y a 30 ou 40 ans (la technologie et le web ont supplanté l’industrie et l’énergie), et la manière d’investir change avec le temps (on n’investit plus du tout aujourd’hui comme dans les années 50).

Cela dit, si l’on s’en tient à la classification de MSCI, qui produit un grand nombre d’indices boursiers massivement reconnus et largement utilisés depuis des décennies, il est possible d’avoir un aperçu de l’évolution historique des styles « growth » et « value ».

Historiquement et d’après la classification de MSCI, l’investissement dans la valeur s’avère être le plus performant dans les pays développés.

Performance historique de l'investissement croissance vs valeur dans les pays développés
Source : www.msci.com

Dans les pays émergents, dont l’historique est plus récent, on observe le même décalage en faveur de la valeur, qui a ensuite été progressivement rattrapé par la croissance.

Les années 70, 80 et 90, favorables à la valeur pour les pays développés, et dont il n’y a pas de données pour les pays émergents, expliquent probablement que les deux styles ne se départagent pas dans les pays émergents.

Performance historique de l'investissement croissance vs valeur dans les pays émergents
Source : www.msci.com

La tendance favorable à la valeur a creusé un écart, qui semble s’être inversée en faveur de la croissance depuis une quinzaine d’années, tiré par l’impressionnante performance des géants technologiques et du Web.

Ainsi, selon MSCI, le style croissance a ainsi progressé de +204 % en 15 ans, contre seulement +84 % pour le style valeur.

Performance 2007-2022 des styles croissance vs valeur selon l'indice MSCI ACWI

Les données récentes suggèrent qu’il y a des cycles favorables à la croissance, et d’autres à la valeur. De plus, ces cycles sont susceptibles de durer plusieurs décennies.

Doit-on pour autant considérer que le style valeur est supérieur, car c’est ce que montrent les données historiques, ou bien qu’il n’y a aucun style supérieur à l’autre, et que l’on s’en rendrait compte si l’on disposait d’un historique plus large ?

Ce qu’on peut constater, c’est que le style valeur a largement dominé pendant plus de 3 décennies consécutives (du milieu des années 70 jusqu’à la fin des années 2000). Le style croissance a ensuite pris le relai durant 15 ans.

Très récemment, le style valeur semble être repassé devant, mais il est difficile d’affirmer s’il s’agit d’une simple anomalie dans un grand cycle favorable à la croissance, ou si le retour de la valeur est en marche.

La prédominance de l’investissement valeur est-elle liée à un contexte aujourd’hui disparu ?

Si l’on s’en tient à la performance de l’investisseur Warren Buffett, principal représentant historique du style valeur, sa faculté à surpasser le marché depuis les années 60 et 70 semble suggérer que la prédominance du style valeur est plus ancienne que les données dont dispose MSCI.

Historique de performance jusqu'en 1980 de Berkshire Hathaway face au S&P 500
Source : www.berkshirehathaway.com

Si l’on ajoute Benjamin Graham (mentor de Buffett et fondateur du style d’investissement valeur), qui prit sa retraite en 1956 en ayant battu le marché de 2,5 % par an en moyenne pendant plus de vingt ans, la prédominance du style valeur est encore plus ancienne.

Pour autant, force est de constater que l’investissement valeur ne donne plus les mêmes résultats que par le passé :

  • Les indices orientés « valeur » sous-performant régulièrement le reste du marché.
  • Warren Buffett, l’investisseur « valeur » depuis des décennies, ne surperforme presque plus le marché depuis 15 ans. Alors que sa holding affiche une croissance de +20 % par an entre 1965 et 2021, elle n’est plus que de +10 % / an si l’on considère la période 2007-2021, contre +9 % pour le S&P 500. À sa décharge, on peut cela dit souligner qu’il fait toujours légèrement mieux que le marché, dans un contexte moins favorable à son style d’investissement préféré.
Performance de Berkshire Hathaway, holding de Warren Buffett, face au S&P 500
Performance de Berkshire Hathaway, holding de Warren Buffett, face au S&P 500 depuis 5, 10, 15 et 20 ans.
Source : ycharts.com

La question est donc de savoir si nous nous trouvons dans un grand cycle favorable à la croissance, temporaire, et auquel cas, la valeur finira par revenir sur le devant de la scène (son retour est d’ailleurs peut-être en cours), ou bien si le style d’investissement orienté « valeur » appartient désormais au passé. Dans ce cas, il continuera à y avoir des cycles favorables à la croissance et d’autres à la valeur, mais ils s’équilibreront et la valeur ne surperformera plus.

Il y a une chose que peu d’investisseurs savent : Benjamin Graham, le père de l’investissement valeur, a déclaré, dans les années 70, qu’il ne croyait tout simplement plus à la prédominance de l’investissement dans la valeur.

Ces propos ont notamment été relatés par John Bogle, dans « Le petit livre pour investir avec bon sens » .

Pour Graham, l’investissement valeur perdrait en puissance du fait de sa popularité. Cela peut sembler logique.

Graham, et même Buffett, ont obtenu leurs meilleurs résultats à une époque où l’information était difficile d’accès. Internet n’existait pas, et il fallait se farcir des énormes livres de comptes écrits en tout petit pour étudier les chiffres des entreprises, accéder à leurs données comptables et à leur historique de performance.

Puis, il fallait appeler son courtier pour qu’il nous achète des titres, avec des frais de transaction bien différents d’aujourd’hui.

L’investissement dans la valeur était donc une niche destinée à quelques rares cerveaux ultra-motivés. Reste qu’il était possible, pour ces personnes, de trouver la perle rare : l’entreprise qui fonctionne bien et qui génère des bénéfices croissants, tout en étant complètement ignorée par les journaux financiers et les investisseurs de l’époque.

Une fois achetée, il suffisait alors d’attendre qu’un analyste finisse par repérer l’action, qu’il en fasse une certaine publicité, et que son cours commence à monter, récompensant les investisseurs valeur l’ayant vu avant tout le monde.

Aujourd’hui, c’est exactement le contraire. L’information est disponible partout, pour tout le monde, et au même moment. De plus, il est devenu très simple d’investir. Toutes les personnes disposant d’un ordinateur ou d’un téléphone et d’une connexion (soit une bonne partie de l’humanité) peuvent passer un ordre, avec des tarifs très faibles. Tout le monde peut donc investir dans la valeur sans effort, grâce aux screeners d’actions (petit programme permettant de chercher automatiquement un titre ayant certaines caractéristiques) et aux indices.

Il est donc beaucoup plus difficile de profiter d’un avantage stratégique en dénichant un titre que personne d’autre n’aurait repéré.

De plus, tout le monde cherche aujourd’hui à s’inspirer des grandes figures de l’investissement, qui ont connu une réussite exceptionnelle (Peter Lynch, Warren Buffett…). Sauf que si tout le monde fait pareil, l’avantage stratégique de la minorité n’existe plus, et la méthode s’essouffle.

Ainsi, « achetez des entreprises près de chez vous, que vous connaissez » (Méthode de Peter Lynch) ou « des petites entreprises sous-évaluées que personne n’a vu » (Méthode Warren Buffett) ne fonctionnerait tout simplement plus.

Buffett a d’ailleurs quelque peu changé sa façon d’investir depuis ses premières années. Sous l’influence de Charlie Munger, son partenaire d’affaires, et de l’évolution des conditions de marché, il s’est progressivement intéressé aux grandes entreprises, dont certaines peuvent être qualifiées d’entreprises de croissance, même si un prix d’achat intéressant est toujours un critère qu’il prend en compte.

La popularité de l’investissement valeur, et le fait que beaucoup d’investisseurs se définissent comme des investisseurs « valeur » (cela fait toujours bien de s’inscrire dans la lignée des grands investisseurs), est précisément la raison pour laquelle l’investissement valeur pourrait ne plus générer les mêmes résultats qu’auparavant.

On ne compte d’ailleurs plus les livres, les articles, les podcasts, les vidéos, qui plébiscitent l’investissement dans la valeur. Sans compter les tableaux avancés et les screeners, qui permettent à tout le monde d’investir facilement et plus ou moins de la même manière.

Or, si tout le monde décide d’investir en suivant une stratégie contrarienne disposant d’un premium, le premium disparaît.

Le grand balancier valeur / croissance

Ironiquement, l’investissement dans la valeur semble donc destiné à fonctionner lorsque plus personne n’y croit (ce qui crée des opportunités), et à générer de piètres performances lorsque tout le monde essaye d’investir de cette manière (les cours montent et les opportunités disparaissent).

On pourrait alors résumer le cycle de l’investissement dans la valeur ainsi :

  1. L’investissement dans la valeur fonctionne, de plus en plus de personnes en parlent, ce qui popularise le style et attire de nouveaux investisseurs. Les cours grimpent et les opportunités commencent à se raréfier.
  2. Les opportunités deviennent presque inexistantes, les investisseurs se découragent et abandonnent ce style, que l’on déclare mort. Certaines actions voient leur cours baisser et les opportunités commencent alors progressivement à réapparaître. Retour au point 1.

L’atteinte d’un extrême engendre donc les conditions d’un basculement vers l’extrême opposé, dans un cycle sans fin.

Le meilleur moment pour commencer à investir dans la valeur est donc lorsque tout le monde dit que ça ne fonctionne plus. L’investissement dans la valeur doit donc être contrarien pour fonctionner, à la différence de l’investissement dans la tendance, qui porte une philosophie plus moutonnière (suivre la foule, jusqu’à un certain point).

On retrouve une logique similaire avec l’évolution cyclique du prix du pétrole :

  • Le pétrole est abondant, son prix est bas. Il devient moins rentable de réaliser des forages compliqués et des explorations pour trouver de nouveaux champs. Les conditions de la raréfaction sont réunies, l’offre finit par stagner, tandis que la demande augmente. Les prix finissent par monter.
  • Le pétrole est rare, son prix est élevé : les consommateurs cherchent des solutions alternatives pour abaisser leurs besoins (la demande diminue), des forages et explorations coûteuses peuvent être réalisés, car ils sont désormais rentables (l’offre s’accroît). Les conditions sont réunies pour que les prix finissent par baisser.

Bien sûr, l’évolution du prix du pétrole est aussi liée à des facteurs géopolitiques, aux manipulations de prix des pays producteurs et de l’OPEP, ainsi qu’aux priorités des gouvernements (forer du pétrole de schiste pour atteindre l’indépendance énergétique, en acceptant une forte pollution, ou se priver d’une ressource stratégique au nom de la préservation de l’environnement). Mais c’est tout un autre sujet !

Quant à la croissance, le meilleur moment pour adopter ce style est quand l’investissement dans la valeur s’essouffle, et qu’il devient de plus en plus difficile de trouver des titres décotés. L’investissement dans la croissance profite aussi des excès d’enthousiasme du marché et de la formation de bulles dans certains secteurs, technologiques par exemple.

Bulle du secteur technologie de l'information

Le retour de la valeur dans un monde changeant

Benjamin Graham, père de l’investissement valeur, recommandait dans son livre « L’Investisseur Intelligent » de sélectionner des titres de sociétés bien établies, ayant une bonne situation financière, des bénéfices stables, un dividende régulier, des résultats croissants, un P/E ratio ne dépassant pas 15, ainsi qu’un P/BV ratio de 1,5 maximum.

Dans un marché ayant un P/E ratio moyen de 20 (et même de 23 aux États-Unis) et un P/BV moyen supérieur à 3, il est facile de conclure que les opportunités « value » ne sont plus légions.

Et c’est d’autant plus le cas si l’on ajoute des critères qualitatifs en recherchant, comme le préconise Graham, des entreprises solides et de qualité, bien établies et en croissance.

L’indice MSCI ACWI Quality, qui recense des entreprises correspondant grosso modo aux critères qualitatifs de Graham, possède un P/BV moyen supérieur à 7 : le prix de ces entreprises est donc 4 fois supérieur au prix d’achat recommandé par Graham (cela fait beaucoup, même en admettant que la valeur immatérielle des entreprises, de plus en plus présente et difficile à évaluer, rend certaines métriques moins « révélatrices »).

De son côté, l’indice mondial MSCI ACWI Value Index correspond partiellement aux indications chiffrées de Graham (P/E ratio de 14 et P/BV de 2), mais pas forcément à ses critères qualitatifs.

Aujourd’hui, il semble donc à première vue très difficile de faire coïncider les critères qualitatifs et quantitatifs de l’investissement dans la valeur selon Graham.

La sous-performance de l’investissement valeur et la raréfaction des opportunités expliquent donc son déclin, évoqué dans les médias financiers. Toutefois, attention aux prédictions des médias : « la mort des actions » avait fait la une du magazine Business en 1979…

Pourtant, la forte prédominance du style « croissance » sur les 15 dernières années pourrait indiquer que le point de bascule se rapproche : le retour du balancier, dans un scénario d’alternance des cycles, pourrait donc s’annoncer avec une certaine force.

Historiquement, l’alternance des cycles propices à un style est visible depuis plus de 40 ans aux États-Unis. La dernière fois que le style « valeur » est arrivé à ce niveau de sous-performance face au style « croissance », il avait alors rebondi de manière spectaculaire.

Quel sera l’origine du point de basculement entre les investissements de croissance et de valeur ? Guerre, éclatement d’une bulle (technologique ou immobilière), raréfaction de certaines ressources ou autres problèmes imprévisibles, plusieurs scénarios peuvent être envisagés.

Mais peu importe la raison. La grande question que se posent les investisseurs « value » est de savoir à quel moment leurs titres sous-évalués vont finir par rebondir et afficher une performance décente.

Toutefois, l’investissement dans la valeur avait-il vraiment disparu ces dernières années (en se faisant écraser par la croissance), ou alors était-il simplement bien caché ?

Autrement dit, était-il possible d’investir dans la valeur avec des performances correctes, au beau milieu d’une période favorable à la croissance ?

La recherche de la « vraie » valeur

L’indice MSCI ACWI Enhanced value, qui va encore plus loin en étant beaucoup plus strict dans la sélection des titres de valeur, peut apporter quelques réponses.

Son inclinaison vers la valeur est bien supérieure à son homologue MSCI ACWI value.

Orientation valeur de ACWI Value et ACWI Value Enhanced
Source : www.msci.com

Il est d’ailleurs curieux de constater que l’indice MSCI ACWI Value est finalement plus orienté sur les dividendes que sur la valeur, sachant que l’inverse ne se vérifie pas : le MSCI ACWI High Dividend Yield est bien plus orienté « dividendes » que « valeur ».

Quant au MSCI ACWI Enhanced Value, son orientation vers la valeur est très forte, au point qu’il respecte largement les critères quantitatifs énoncés par Benjamin Graham.

Ratios fondamentaux des indices MSCI ACWI Value et Enhanced Value
Source : www.msci.com

L’Enhanced Value permet ainsi d’obtenir un P/E inférieur à 10, et un P/BV de 1, soit des ratios vraiment bas, ce qui signifie des actions très fortement orientées valeur.

Il est également intéressant de noter que l’accroissement de l’orientation valeur ne se fait pas au détriment de la qualité fondamentale des actions : les actions de l’indice MSCI ACWI Enhanced Value ne sont pas d’une qualité inférieure à la moyenne, représentée par l’indice MSCI ACWI (qui est un mélange neutre entre valeur et croissance).

Cet indice qui pousse au maximum les préceptes de Graham et du Buffett des jeunes années (du moins d’un point de vue quantitatif, car la qualité n’est pas filtrée) donne-t-il de meilleurs résultats ? A-t-il moins souffert de la prédominance du style « croissance » ?

Performance sur 15 ans MSCI ACWI Enhanced Value

Si l’on s’en tient à la période 2007-2022, largement favorable à la croissance, chercher à accroître l’orientation valeur n’a pas été d’une grande utilité, puisque le MSCI ACWI Enhanced Value a sous-performé son benchmark, le MSCI ACWI (et donc également l’ACWI Growth, par extension).

En revanche, si l’on élargit un peu la période en considérant les données depuis l’an 2000, afin de prendre en compte une période d’équilibre global entre valeur et croissance (les années 2000-2007 ayant été largement favorables à la valeur), le renforcement de l’orientation valeur a permis d’améliorer la performance.

Performance long terme des styles croissance vs valeur vs valeur renforcée

Depuis le début du siècle, les styles valeur et croissance sont au coude à coude (le MSCI World remplace le MSCI ACWI, faute de données disponibles), mais le MSCI World Enhanced Value s’avère bien plus performant sur l’ensemble de la période.

Si l’Enhanced Value ne permet pas de renverser la vapeur lors d’une période favorable au style croissance, il semble donc globalement plus performant, ce qui confirme la prédominance du facteur valeur sur la croissance.

En partant du principe que les styles valeur et croissance vont alterner leurs périodes de domination, par cycles, un indice avec une orientation valeur renforcée a donc le potentiel pour surperformer le marché à long terme.

Dans un monde changeant, il est toujours difficile de tirer des conclusions définitives. Il y a 20 ou 30 ans, il paraissait évident que la valeur dominait quasiment constamment. Or, nous sortons de 15 ans d’une écrasante domination de la croissance : une période assez longue pour chambouler nos constructions mentales (même le père de l’investissement dans la valeur, benjamin Graham, ne semblait plus y croire à la fin de sa carrière).

Il faut savoir distinguer les cycles, qui peuvent durer plus d’une décennie, pouvant être favorables à la valeur ou à la croissance, du rendement potentiel attendu à long terme, qui penche du côté de la valeur (si celle-ci est suffisamment orientée). Dans l’investissement, les conclusions peuvent être facilement erronées, si l’on s’en tient à une période trop courte.

2 commentaires sur “Valeur vs Croissance : deux styles d’investissement distincts

  1. Merci Antonin pour cet article très détaillé et documenté.

    C’est intéressant de remonter dans le passé, car sur une échelle de 10-12 ans, on n’a pas du tout les mêmes résultats que sur une période de 20 ans et plus.

    Finalement, on peut aussi opter pour un portefeuille assez équilibré où l’on va mélanger growth et value pour voir son investissement bien performé quelle que soit la période !

    Excellente journée ! 😉

    1. Une période de 10-12 ans n’est pas significative en bourse, car on peut tomber sur un cycle particulier, qui sera favorable à un style d’investissement ou une classe d’actif spécifique. Il vaut donc mieux se baser sur des périodes de 30 ou 40 ans pour observer les marchés à travers différents cycles. Et encore, ce n’est parfois pas suffisant, on le voit avec les taux d’intérêt qui ont eu un cycle baissier pendant 40 ans, et qui vient de se terminer. Une période de 70 ou 80 ans serait donc encore plus significative. Reste alors à trouver les données !

      Mélanger growth et value est effectivement ce qu’il y a plus simple, car avec cette diversification, on est certain de ne pas se tromper, si le marché est haussier. Et si on veut en choisir un pour augmenter sa performance, autant se tourner vers celui qui a donné le plus de garanties historiquement : le style value. Il faut toutefois être conscient que même s’il continue d’être le plus performant à long terme, il peut passer par des phases de sous-performance, comme ces dernières années. Il faut donc être patient.

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