La détermination de l’allocation d’actifs est la première étape dans la construction d’un portefeuille. Elle désigne la répartition des actifs dans différents groupes et catégories (que l’on appelle les classes d’actifs).
Ces catégories sont : des actions, des obligations, de l’immobilier, des liquidités, des matières premières… (voir l’article dans quoi investir).
Pour Charles Schwab et David Swensen, l’allocation d’actifs est la décision la plus importante que doit prendre un investisseur, car elle est responsable de 100% du rendement de ses investissements.
J’ajouterai que l’allocation d’actifs est également responsable de 100% du risque et la volatilité d’un portefeuille.
L’allocation d’actifs devrait concentrer toute l’attention que vous accordez à votre stratégie d’investissement, parce que c’est le seul facteur que vous pouvez maîtriser.
William Bernstein
Il existe deux façons de définir son allocation d’actifs :
- L’allocation d’actifs stratégique
- L’allocation d’actifs tactique
Commençons par l’allocation d’actifs stratégique, qui est la plus facile à comprendre et à mettre en place.
L’allocation d’actifs stratégique
L’allocation d’actifs stratégique définit la répartition de vos investissements en fonction de votre profil d’investisseur.
Le pourcentage alloué aux différentes classes d’actifs est défini par plusieurs critères :
- L’objectif : finalité de l’investissement.
- L’âge, qui détermine souvent l’horizon d’investissement.
- L’aversion au risque, qui est propre à chacun.
Ces critères servent de base pour répartir les classes d’actifs dans le portefeuille. Historiquement, chaque classe d’actifs a un rendement et un niveau de volatilité qui lui est propre.
Les actions sont l’actif le plus connu et le plus utilisé : c’est aussi la classe d’actifs la plus performante historiquement. Mais elle est relativement volatile.
Un portefeuille d’actions peut très bien dépasser les -50% en tant de crise, et les actions peuvent également ne produire aucune performance pendant une décennie entière (c’est déjà arrivé lors des décennies 1930-1940 et 2000-2010).
Beaucoup d’investisseurs n’ont pas une tolérance au risque (et une patience) suffisante pour avoir un portefeuille à 100% en actions.
Les obligations sont historiquement moins performantes que les actions. Cependant, elles sont bien plus stables et permettent de réduire la volatilité lors d’un krach boursier.
On peut donc ajuster le niveau de volatilité souhaité, et réduire ses risques, en intégrant des obligations en portefeuille.
Le niveau de volatilité maximale recherché sera corrélé au profil de l’investisseur. Par exemple :
- Un jeune investisseur est prêt à prendre plus de risques à court terme, car son objectif à long terme est la croissance de son capital. Il se focalisera sur une allocation stratégique qui va maximiser ses chances d’obtenir un rendement élevé, tout en acceptant de subir une volatilité plus élevée lors des crises. Son allocation sera donc composée par une majorité d’actions.
- Un investisseur à la retraite cherchera avant tout à minimiser la volatilité, pour préserver son capital, la stabilité de ses revenus et pour éviter les montagnes russes émotionnelles. Son allocation comportera donc une bonne part d’obligations en portefeuille.
L’aversion au risque joue également un rôle prépondérant, car deux investisseurs du même âge peuvent très bien avoir une sensibilité au risque très différente, ce qui va les conduire à adopter des portefeuilles opposés.
La question que l’on peut maintenant se poser est : « Si je souhaite réduire mon risque, quelle proportion d’actions et d’obligations dois-je détenir ? Quelle allocation me permettra de ne jamais voir mon portefeuille perdre -40% ? Et si je veux éviter les baisses supérieures à -25% ? »
La définition du risque
Quel que soit le niveau de risque maximal que l’on souhaite prendre, il existe un portefeuille qui répond à cet objectif.
Pour définir l’allocation la plus adaptée, il faut étudier ce qu’ont donné, en termes de rendement et de volatilité, différentes combinaisons d’actions et d’obligations à travers l’histoire.
Et cela tombe bien, car un investisseur, Paul Merriman, a déjà réalisé ce travail.
Il a compilé dans un tableau toutes les combinaisons possibles entre actions et obligations, par incréments de 10%, puis a examiné les rendements obtenus, la volatilité, les pires périodes de 3, 6, ou 12 moins ainsi que les plus fortes baisses (worst drawdown), sur une période de 50 ans (1970-2020).
Voici une reproduction partielle de son tableau, que vous pouvez consulter en entier ici.
On peut tout d’abord se rendre compte que la différence de rendement n’est pas si importante entre les actions (+10,7%/an pour le S&P 500) et les obligations (+7,2%/an pour des obligations d’état mixes à court et moyen terme).
La différence en termes de volatilité est plus significative puisque les actions sont trois fois plus volatiles que les obligations (la standard deviation est de 16,9% pour le S&P 500 contre 5,7% pour les obligations).
Comment utiliser ce tableau pour trouver une allocation stratégique qui vous corresponde ?
La définition de l’allocation stratégique
Un portefeuille ne se construit pas à partir du rendement espéré, mais du risque encouru.
Car pour obtenir le rendement du marché, il faut pouvoir passer à travers les crises successives. Et pour arriver à traverser les crises, il vaut mieux avoir mis en place un portefeuille qui ne dépasse pas notre tolérance au risque.
La ligne la plus importante du tableau est donc celle des Worst Drawdown (les pires baisses, et ça tombe bien, c’est la dernière ligne).
Pour trouver une allocation qui soit confortable pour vous, partez de la droite (depuis l’allocation à 100% sur le S&P 500), puis déplacez-vous vers la gauche jusqu’à ce que la pire baisse devienne acceptable pour vous.
Cela peut être -40%, -25%, ou -5%. Il n’y a pas de bonne réponse dans l’absolu. Le tout est de cibler un niveau de baisse maximal qui vous permette de rester serein émotionnellement.
Le rendement doit toujours être évalué par rapport au risque, dans tous les cas. Pour chaque allocation, il est possible d’observer la variation du risque (mesurée par la déviation standard, soit la volatilité) et du rendement.
On remarque alors que le risque possède une plus grande variabilité que le rendement : si l’on cherche à augmenter le rendement de 10% (en visant par exemple un rendement de 10,2% au lieu de 9,3%), on se rend compte que cela augmente le risque de près de 50% (la volatilité passe de 9,3% à 13,7%). Il faut donc parfois accepter d’avoir un portefeuille deux fois plus volatil, pour espérer obtenir 1% de rendement en plus.
Dans l’absolu, il n’existe pas de meilleure allocation stratégique. Chaque investisseur a sa propre tolérance au risque, et sa propre psychologie d’investisseur.
Lorsque vous pensez avoir trouvé une allocation en actions et obligations qui vous semble adaptée pour vous, Paul Merriman conseille de se décaler d’un ou deux crans vers la gauche (donc en augmentant la proportion d’obligations de 10% ou 20% supplémentaires), pour deux raisons :
- On a souvent tendance à sur-estimer notre tolérance face au risque : imaginer vivre une baisse est bien plus confortable que de voir son portefeuille baisser réellement.
- Par définition, les plus grands drawdowns sont dans le futur (le passé est connu, le futur est toujours incertain). Il est donc intéressant d’avoir une marge de sécurité.
L’allocation de portefeuille avec laquelle vous vous sentez le plus confortable pourra alors probablement être utilisée à long terme.
Allocation stratégique évolutive
Aucune allocation de portefeuille n’est immuable et intangible : à mesure que les années passent, nos objectifs changent, notre aversion au risque évolue et notre horizon d’investissement diminue (sauf si nous intégrons nos descendants dans l’équation).
Vous pourrez donc conserver votre allocation d’actifs, jusqu’à ce que vous jugiez que votre profil d’investisseur a évolué (ce qui sera le cas un jour ou l’autre).
Certains fonds changent automatiquement leur composition en fonction de l’âge de l’investisseur : ce sont les target date funds (fonds à date cible, la cible étant l’année prévue de départ en retraite).
Leur objectif est d’offrir un potentiel de croissance élevé aux jeunes investisseurs, puis de sécuriser progressivement le capital à mesure que l’investisseur avance en âge. La sécurisation prend la forme d’une réduction régulière de la proportion d’actions en portefeuille, au profit des obligations d’état.
Ainsi, plus l’investisseur se rapproche de la retraite, moins son portefeuille est volatil.
Au final, une allocation d’actifs stratégique est relativement facile à maintenir, car il s’agit simplement de rééquilibrer son portefeuille de temps en temps, afin qu’il retrouve sa répartition cible.
En dehors des rééquilibrages réguliers (une ou deux fois par an), il est possible d’investir en pilote quasi-automatique, sans effort, ni sans avoir à y penser. L’allocation stratégique est ainsi la forme d’investissement la plus passive qui soit.
Vous avez pu noter que je n’ai pas parlé de l’or dans la définition de l’allocation d’actifs stratégique.
L’inclusion d’or (ou d’argent) dans un portefeuille est un sujet souvent controversé. Je fais partie de ceux qui pensent que l’or a toute sa place dans un portefeuille diversifié. C’est un actif qui permet de traverser plus facilement les périodes de dévaluation monétaire, ainsi que les périodes de forte inflation.
Bien sûr, aucun actif n’est obligatoire et inclure ou non de l’or dépend de votre sensibilité personnelle.
Idem pour les cryptomonnaies, qui sont en train de devenir une nouvelle classe d’actifs. La question de leur inclusion peut également se poser (vu leur niveau de volatilité, un faible pourcentage suffira amplement).
L’allocation stratégique peut très bien suffire pour la plupart des investisseurs qui souhaitent mettre en place un portefeuille. Cependant, en se focalisant uniquement sur le profil de l’investisseur, elle ne tient pas compte de la valorisation du marché, ni de l’évaluation des opportunités.
C’est là qu’intervient l’allocation tactique.
L’allocation d’actifs tactique
L’allocation d’actifs tactique ajuste la répartition des actifs de manière active et flexible (contrairement à l’allocation stratégique qui définie une répartition fixe).
Le rôle de l’allocation tactique est de tenir compte de la situation actuelle du marché, en prenant en compte les probabilités d’évolution des actifs à court et à moyen terme.
Plusieurs facteurs peuvent influencer l’allocation d’actifs tactique :
- Le niveau de valorisation des actifs (principalement celui des actions).
- La tendance (haussière ou baissière) des actifs.
La valorisation des actifs
Une allocation d’actifs basée sur la valorisation des actifs cherche à s’exposer aux actifs qui sont sous-évalués, et à réduire l’exposition aux actifs sur-évalués.
Chaque actif en hausse/baisse subit tôt ou tard le phénomène du retour à la moyenne. Ce qui est descendu a ensuite tendance à monter, et inversement, ce qui a monté finira par redescendre.
Les niveaux de valorisation des actions peuvent être observés avec plusieurs ratios : le plus courant étant le P/E (Price/Earnings) ratio (ou son cousin le CAPE ratio). Mais il en existe d’autres, comme la capitalisation boursière / PIB (également appelé indice Buffett)…
Historiquement, lorsque le marché atteint des niveaux de valorisation particulièrement élevés, il finit toujours par y avoir un retour à la moyenne.
Ainsi, lorsque les actions sont bon marché, leur potentiel de croissance est élevé, et lorsqu’elles sont chères, leur potentiel de croissance est déjà bien entamé (et leur chute risque d’être plus violente lors de la prochaine crise).
On remarque que lorsque le S&P 500 atteint une valorisation élevée, il s’ensuit souvent de longues périodes de chute ou de stagnation de l’indice.
L’étude des niveaux de valorisation peut donc servir à augmenter ou diminuer la proportion d’actions au sein du portefeuille.
Par exemple, vous pouvez décider d’attribuer aux actions une répartition comprise entre 50% et 70% du portefeuille, et faire varier la proportion dans cette fourchette en fonction des niveaux de valorisation (70% d’actions lorsque les niveaux de valorisation sont faibles, 50% lorsqu’ils sont élevés).
L’étude des niveaux de valorisation peut aussi servir à modifier les pondérations au sein de la classe des actions.
Certains pays sont plus fortement valorisés que d’autres. Par exemple, le P/E ratio des États-Unis est actuellement supérieur à 30, tandis que celui de l’Italie et de la Russie sont inférieurs à 20).
Idem pour les zones géographiques : le P/E ratio des pays émergents est actuellement de 22, contre 28 pour les pays développés (sachant que les États-Unis représentent 65% de la capitalisation des pays développés).
Ainsi, il est possible d’augmenter la proportion d’actions de pays émergents, et de réduire la proportion d’actions de pays développés, en se basant sur le niveau de valorisation de ces deux zones.
Les niveaux de valorisation peuvent aussi s’appliquer à l’échelle sectorielle. Par exemple, le P/E ratio des entreprises technologiques (P/E de 38) est actuellement largement supérieur à celui des entreprises financières (P/E de 16). Il est possible d’en tenir compte dans l’élaboration d’un portefeuille, même si se focaliser sur certains secteurs, ou en exclure d’autres, reste une opération délicate.
Dans l’ensemble, la logique de l’allocation tactique par la valorisation est toujours la même. Il s’agit d’être plus agressif avec les actifs sous-valorisés, et plus prudent concernant les actifs fortement valorisés.
Allocation d’actifs tactique et suivi de tendance
L’allocation d’actifs tactique peut également se baser sur le suivi de tendance ou le Momentum.
Ce type d’allocation tactique est basé sur les attraits du marché et les émotions des investisseurs, qui affectent la direction des prix à moyen terme (ils l’affectent aussi à court terme et à très court terme, mais on rentre alors dans une logique de trading).
Le suivi de tendance consiste à investir sur des actifs en tendance haussière, jusqu’à ce que leur hausse se termine. Le suivi de tendance n’est donc rien d’autre que de l’allocation tactique focalisée sur les tendances haussières.
Il existe de nombreuses façons d’utiliser une allocation tactique basée sur la tendance/le Momentum. On peut citer à titre d’exemple le portefeuille Ivy de Meb Faber, qui est constitué de cinq classes d’actifs :
- Actions américaines
- Actions internationales
- Obligations d’état
- Actions immobilières
- Matières premières
Chaque classe d’actifs en tendance haussière (la moyenne mobile sur 10 mois est souvent privilégiée pour observer la tendance) est investie à hauteur de 20% du portefeuille.
Si l’une des classes d’actifs tombe sous sa moyenne mobile, elle est vendue et convertie en liquidités.
Le portefeuille Ivy a donc une allocation flexible, qui peut varier d’une allocation investie à 100% dans différentes classes d’actifs à une allocation à 100% en liquidités, selon les tendances du marché.
Historiquement, cette approche a permis d’améliorer le rendement par rapport à une allocation fixe, avec une volatilité réduite.
Le principal avantage de l’allocation tactique basée sur le suivi de tendance est de permettre d’éviter la majeure partie des plus fortes crises (telles 2008, ou 2001-2002).
De plus, les frais de transaction sont aujourd’hui très modestes, ce qui ne pénalise plus les arbitrages tactiques.
Le principal inconvénient de l’allocation tactique (valorisation ou suivi de tendance) est qu’elle peut parfois donner l’impression d’investir à l’envers :
- Pour la valorisation : Lorsque les actions fortement valorisées continuent leur hausse, tandis que les actions peu valorisées stagnent.
- Pour le suivi de tendance : Lorsqu’il n’y a aucune tendance affirmée (les actifs oscillent près de leur moyenne mobile), le portefeuille multiplie les arbitrages qui semblent improductifs.
L’allocation d’actifs tactique est également moins avantageuse fiscalement parlant (la revente des actifs concrétise les plus-values, qui deviennent imposables). Il est cependant possible de l’appliquer (au moins partiellement) dans une enveloppe fiscale adaptée (PEA/assurance vie), afin d’éviter la fiscalité.
Conclusion
L’allocation d’actifs stratégique, passive et de type buy-and-hold (achetez puis conservez) est l’approche la plus simple pour constituer un portefeuille.
Elle permet d’investir de façon diversifiée, et ne requiert qu’un rééquilibrage de temps en temps pour revenir à la répartition initiale des actifs.
L’allocation d’actifs tactique permet d’ajuster son allocation en visant une amélioration du ratio rendement/risque.
Cependant, l’approche tactique laisse de la place aux erreurs d’appréciation, et peut aboutir à l’effet inverse, en augmentant la volatilité ou en diminuant les rendements. Elle reste plus complexe à manier.
Que vous choisissiez une allocation stratégique ou une allocation tactique dépend de vos objectifs et du style d’investissement que vous souhaitez mettre en place.
La stratégie requiert de la réflexion, les tactiques requièrent de l’observation.
Max Euwe
Mais vous pouvez aussi combiner les deux, avec une partie de votre capital placé en suivant une allocation stratégique fixe, et une autre partie investie dans un modèle d’allocation tactique.
La combinaison des deux s’avère particulièrement efficace en termes de diversification, car aucune allocation n’est parfaite en tout temps.
Certaines années, la tactique l’emporte sur la stratégie. Mais parfois, c’est l’inverse. J’utilise donc les deux, dans une logique de diversification et de réduction des risques.